Chapitre 1 1914 – 1945 : La phase critique du socialisme et du syndicalisme allemands

Chapitre 1

chapitre 1

1914 – 1945 : La phase critique du socialisme et du syndicalisme allemands

ESPACE

La Première Guerre mondiale divise profondément les socialistes et perturbe les pratiques syndicales. Le SPD en sort en lambeaux. La division de la gauche perdure sous la République de Weimar (1919 – 1933) dans un affrontement très dur entre socialistes et communistes. L’arrivée des nazis au pouvoir en 1933 entraîne l’interdiction et la disparition des partis et des syndicats.

A L’éclatement du SPD et l’évolution du syndicalisme entre 1914 et 1918

La fragile unité du SPD ne résiste pas à la guerre. La révolution russe de 1917 accélère l’éclatement du parti. La guerre a aussi altéré le fonctionnement des syndicats.

1. Le choc de la guerre sur le SPD

L’entrée en guerre de l’Allemagne le 1er août 1914, contre la Russie, puis le 3 août, contre la France marque un double échec pour les socialistes allemands. Ils n’ont pas pu – au même titre que l’ensemble des socialistes européens – empêcher le conflit : le nationalisme a vaincu l’internationalisme, le devoir patriotique l’a emporté sur l’entente entre les peuples. Ils se divisent aussi face à la guerre : une large majorité des députés SPD accepte la guerre, vote les crédits militaires et rejoint ainsi le Burgfrieden, « l’Union sacrée » allemande. En revanche, une minorité d’entre eux, emmenée par Karl Liebknecht, s’y oppose. En votant malgré tout les crédits de guerre par discipline, le parti sauve in extremis une union de plus en plus fragile. L’allongement imprévu du conflit finira par la rompre.

Dès le mois de décembre 1914, Liebknecht vote pour la première fois contre le financement de la guerre, lors d’une seconde consultation sur cette question : c’est la première atteinte visible à l’unité du parti. L’extrême gauche du SPD entame alors un processus de rupture avec la majorité. En septembre 1915, Liebknecht participe au congrès de Zimmerwald en Suisse qui réunit les dissidents des partis socialistes européens opposés à la guerre. En 1916, il rassemble ses partisans dans un groupe minoritaire au sein du SPD, les Spartakistes (de Spartacus, esclave en révolte contre Rome au Ier siècle avant notre ère) qui se prononcent ouvertement pour la paix. Ce groupe est aussitôt expulsé de la délégation socialiste du Reichstag mais pas encore du Parti lui-même.

2. L’impact de la révolution russe et le spartakisme révolutionnaire

Les révolutions russes de février et d’octobre 1917 accentuent ce processus d’éclatement du Parti. La première renverse le régime tsariste, la seconde porte au pouvoir les Bolcheviks de Lénine. En avril 1917, Kautsky et Bernstein, qui étaient jusque-là dans la majorité, quittent le SPD pour créer un nouveau parti, l’USPD - le SPD « indépendant » par opposition au SPD « majoritaire ». Ils réclament des négociations immédiates avec la Russie pour arrêter la guerre. Les Spartakistes de Liebknecht et Rosa Luxemburg les rejoignent, tout en gardant leur autonomie au sein de l’USPD. Mais une fois la guerre terminée ils rompront ce lien formel pour créer le parti communiste allemand – le KPD : Kommunistische Partei Deutschlands. Les Spartakistes ne veulent pas seulement faire la paix, ils veulent faire aussi la révolution. Sous l’influence de Rosa Luxemburg, ils suivent un programme révolutionnaire original qui repose sur la spontanéité des masses populaires, l’attachement à la démocratie ouvrière et à la démocratie directe, l’internationalisme et la haine du nationalisme, le pacifisme et l’antimilitarisme. À la fin de la guerre, les Spartakistes animent un peu partout en Allemagne des soviets (c’est-à-dire des conseils d’ouvriers et de soldats) qui lancent des révoltes et des mutineries dans plusieurs villes allemandes. Ce mouvement révolutionnaire émergeant au moment de la défaite permettra à la droite allemande et à une partie de l’armée de forger la thèse du « coup de poignard dans le dos » : l’Allemagne n’aurait pas perdu la guerre à cause d’une défaite militaire mais à cause des révolutionnaires de l’intérieur qui l’auraient frappée par-derrière.

À la fin de la guerre, le SPD a ainsi éclaté en trois partis distincts, le SPD, l’USPD et le KPD.

Document 1 K. Liebknecht et R. Luxemburg

Karl Liebknecht “Copyright G.G. Bain/Library of Congress“

Rosa Luxembourg

“CC BY-SA 3.0“/ Deutshes Bundesarchiv

3. Le syndicalisme de guerre

La guerre a aussi profondément perturbé l’action syndicale. Les syndicats « libres », comme la majorité du SPD, se sont associés à l’effort de guerre. Les leaders syndicaux ont participé aux organisations de secours aux blessés et aux comités chargés du ravitaillement. Ils ont accepté la loi sur le service auxiliaire de guerre obligeant tous les hommes de 17 à 60 ans à travailler qu’ils soient mobilisables ou non. Et comme le SPD, ils ont subi la fronde d’une minorité de leurs membres, hostile à la guerre et favorable aux grèves insurrectionnelles qui secouent l’Allemagne en janvier et en novembre 1918. En revanche le syndicalisme libre allemand parvient à préserver son unité, malgré cette fronde, contrairement à la CGT, en France par exemple, qui se divise en une CGT proche de la SFIO et une CGTU (c’est-à-dire unifiée) proche des communistes.

B La division de la gauche allemande après 1918

La division des socialistes allemands perdure sous la République de Weimar. Les deux grands partis de gauche, le SPD et le KPD s’affrontent durement jusqu’en 1933. Dans ce contexte, les syndicats sont plus proches du SPD que du KPD.

Le SPD, à l’origine de la République de Weimar

Le SPD joue un rôle majeur dans l’instauration de la nouvelle république qui se substitue au régime impérial en novembre 1918. Le 7 novembre 1918, l’empereur Guillaume II abdique. Le 9 novembre, son chancelier, Max de Bade, transmet ses pouvoirs au leader du SPD, Friedrich Ebert, qui préside aussitôt la nouvelle République proclamée quelques heures auparavant au Reichstag par le socialiste Scheidemann. Le SPD est, grâce à son implantation dans l’ensemble du pays, la seule force capable à la fois de contenir la révolution qui se diffuse en Allemagne sur fond de défaite et d’incarner les espoirs des ouvriers en une république sociale. Le SPD prend donc la responsabilité de stopper la révolution et de construire la nouvelle république. Pour répondre aux aspirations populaires, il enclenche le processus constitutionnel qui fonde la République de Weimar. Le nouveau régime est démocratique, il est à la fois présidentiel et parlementaire. Ebert en devient le premier Président élu en février 1919 par l’assemblée constituante réunie à Weimar pour élaborer la constitution, il nomme comme chancelier Scheidemann qui forme un gouvernement de coalition avec les partis du centre. Ce nouveau gouvernement à direction socialiste devra aussi assumer la défaite en acceptant le traité de Versailles le 28 juin 1919. Il en supportera durablement les conséquences.

SPD contre Spartakistes

Pour endiguer le mouvement révolutionnaire, Ebert et le représentant du SPD à Berlin, Gustav Noske, ont aussi réprimé durement en janvier 1919 l’insurrection communiste-spartakiste.

Le 5 janvier 1919 en effet, les Spartakistes, emmenés par Liebknecht et Rosa Luxemburg, déclenchent la révolution à Berlin : manifestations de masse, grève générale, barricades. Un comité révolutionnaire comprenant Karl Liebknecht est créé pour s’emparer du pouvoir. Mais les dissensions entre partisans de l’insurrection armée ou au contraire de la négociation et surtout la répression menée par le nouveau gouvernement dirigé par le SPD débouchent sur l’échec du mouvement au terme d’une semaine sanglante de combats avec les groupes paramilitaires – les corps francs - dépêchés par le pouvoir SPD pour mater la révolte. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, capturés par les corps francs sont aussitôt abattus, sur ordre du gouvernement socialiste.

Le SPD est temporairement au pouvoir mais au prix d’une rupture définitive avec son ancienne aile gauche. Pour l’extrême gauche spartakiste et indépendante, le SPD a trahi la cause ouvrière et l’idéal révolutionnaire. En collaborant avec les partis modérés, il est devenu à leurs yeux un parti bourgeois. Cette coupure et cette trahison vont laisser des traces durables dans la gauche allemande.

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Document 2 La trahison sociale-démocrate selon Rosa Luxemburg

Le 18 novembre 1918, Rosa Luxemburg dénonce dans le journal Rothe Fahne les calomnies que la majorité du SPD font courir sur les Spartakistes et la façon dont ils trahissent selon elle la révolution :

« Derrière ces rumeurs…ces mensonges…il y a quelque chose de très sérieux, tout cela est organisé. La campagne d’excitation est menée systématiquement…Ce qu’on veut c’est créer un climat de panique chez les petits-bourgeois, c’est troubler l’opinion publique, intimider et égarer les ouvriers et les soldats. On veut créer une atmosphère de pogrom et poignarder politiquement le mouvement spartakiste avant qu’il ait eu la possibilité de faire connaître sa politique et ses objectifs aux larges masses…Ce sont les sociaux-démocrates qui empoisonnent délibérément l’opinion publique en forgeant des mensonges, qui dressent le peuple contre nous parce qu’ils redoutent nos critiques et ont tout lieu de les redouter.

Ces gens qui, huit jours avant que n’éclate la révolution, qualifiaient de crime « putschiste » et « d’aventurisme » la seule idée de la révolution…veulent aujourd’hui faire croire que la révolution est déjà faite et que ses objectifs ont été atteints. Ce qu’ils veulent c’est stopper le progrès de la révolution pour sauver la propriété bourgeoise et l’exploitation capitaliste ».

Pogrom : ici, a le sens de massacre

Expression écriteQuestions

1. Quels reproches R. Luxemburg fait-elle aux socialistes du SPD ?

2. Comment explique-t-elle l’attitude du SPD ?

SolutionRéponses

1. R. Luxemburg reproche aux socialistes de présenter les Spartakistes comme des révolutionnaires dangereux, voire même d’inciter le peuple à s‘en prendre aux Spartakistes.

2. Pour R. Luxemburg cette attitude du SPD vise à isoler les Spartakistes et à les empêcher de mener à bien la révolution en Allemagne. On voit très bien dans ce texte l’opposition entre la ligne révolutionnaire des Spartakistes qui veulent prendre le pouvoir par une grande insurrection populaire et la ligne modérée du SPD qui veut éviter la révolution au profit d’une conquête pacifique du pouvoir.

SPD contre KPD

Le SPD devient désormais un parti de gouvernement, même si après son échec aux élections de 1920 dû à la concurrence de l’USPD – 21 % des voix contre 37 % en 1919 - il ne participe qu’épisodiquement aux majorités gouvernementales successives. Il reste néanmoins grâce à la disparition de l’USPD le premier parti allemand en voix et en sièges jusqu’en 1930 et est à nouveau associé au pouvoir à la fin des années vingt. Officiellement il est marxiste. Le congrès d’Heidelberg de 1926 confirme cette ligne en rappelant l’attachement du parti à la socialisation des moyens de production et à la planification de l’économie. Le marxisme conserve d’ailleurs un grand prestige sur les milieux intellectuels allemands, notamment dans la sphère culturelle et artistique. Mais le tournant réaliste est irréversible. En participant à la répression de la révolution spartakiste, il avait rompu définitivement avec le mythe révolutionnaire et opté pour la légalité et l’ordre. Désormais le SPD entend donner la priorité à la voie électorale et parlementaire plutôt qu’au processus révolutionnaire pour changer la société.

Le KPD est l’héritier du mouvement spartakiste. Il va pourtant s’en éloigner radicalement : le KPD spartakiste de 1918 est très différent du KPD de 1920 car entre-temps, Lénine a fondé le Komintern, l’Internationale communiste ou IIIe Internationale, et le KPD accepté de s’aligner sur les 21 conditions imposées par Lénine pour entrer dans le Komintern. Les Spartakistes préconisaient l’action de masse à partir de groupes locaux autonomes, ils refusaient toute organisation centralisée et structurée. C’est en partie ce qui avait causé leur échec. Le KPD au contraire, tirant les leçons de cet échec, prend pour modèle le parti bovlchevik russe. Il adopte une organisation très centralisée, au nom du centralisme démocratique préconisé par Lénine : débat à la base, mais décision au sommet. Ce processus de bolchévisation le conduit, contrairement au SPD, à s’enfermer dans une opposition totale à la République de Weimar.

Il suit fidèlement la stratégie du front unique prolétarien décidée par le Komintern. Le KPD en effet n’est pas maître de sa décision, c’est le parti bolchevik, c’est-à-dire Staline à partir de 1928, qui décide la marche à suivre. Selon cette stratégie, le mouvement ouvrier international ne peut avoir qu’un chef de file, le Parti communiste soviétique. Aucune alliance n’est donc possible avec les autres partis de gauche qui sont même perçus comme des diviseurs de la classe ouvrière et des collaborateurs de la bourgeoisie au pouvoir qu’il faut donc combattre. Les sociaux-démocrates sont considérés comme des « sociaux-traitres ». Cette position du KPD sera constante jusqu’en 1933. Elle s’oppose à la formation de front populaire réunissant toutes les forces de gauche dans une grande coalition pour la conquête du pouvoir. Ils s’opposent ainsi au « Front de fer », cette coalition regroupant les partis républicains, du SPD aux catholiques du Centre, formée en décembre 1931 pour contrer le Front de Harzburg qui regroupe la droite nationaliste. La bolchévisation du parti est devenue une stalinisation.

Quant à l’USPD, sommé de choisir entre l’un ou l’autre, il se dissout entre 1920 et 1922. Ses membres rejoignent le SPD ou le KPD. Il n’aura eu que cinq années d’existence.

La fracture entre SPD et KPD reflète parfaitement la vieille opposition entre réformistes et révolutionnaires, visible avant 1914. La guerre n’a fait que la concrétiser. C’est donc à ce moment que le terme de « social-démocrate » cesse de désigner les marxistes révolutionnaires pour qualifier les socialistes modérés comme le SPD et qu’au contraire le terme de « communiste » s’impose pour identifier les socialistes révolutionnaires comme le parti bolchevik ou le KPD. Ce processus de scission touche tous les partis socialistes d’Europe. En France en 1920 la SFIO se divise elle aussi en deux partis, la SFIO ou parti socialiste, équivalente au SPD allemand et la SFIC, section française de l’Internationale communiste ou parti communiste, équivalent du KPD. Comme en Allemagne, les deux partis refusent toute alliance.

Document 3 Nombre de députés et % des voix aux élections législatives (1919/1933) 

Années

KPD

députés

%

USPD

députés

%

SPD

députés

%

NSDAP

députés

%

1919

22

2.1

163

37.9

1920

4

2.1

84

17.9

102

21.6

1924, mai

62

12.6

100

20.5

32

6.6

1924, décembre

45

8.9

131

26.2

14

3.1

1928

54

10.6

153

29.8

12

2.6

1930

77

13.1

143

24.5

107

18.3

1932, juillet

89

14.3

133

21.6

230

37.3

1932, novembre

100

16.9

121

20.4

196

33.1

1933

81

12.3

120

18.3

288

43.9

Les syndicats, plus proches du SPD que du KPD

Dès 1918, le syndicalisme ouvrier allemand a choisi la modération contre l’extrême-gauche révolutionnaire. Il appuie donc la politique de répression menée par le SPD contre les Spartakistes. Tout en gardant jalousement son autonomie, il restera toujours plus proche du SPD que du KPD par hostilité à toute stratégie de type révolutionnaire. En 1919, il se réorganise en devenant l’ADGB (Allgemeine Deutscher Gewerkschaftbund) et confirme en effet son orientation réformiste d’avant-guerre. En 1925, il renonce définitivement et officiellement à la lutte des classes et à la dictature du prolétariat qu’ils avaient abandonnées dans les faits depuis longtemps. L’ADGB s’est doté d’une forte direction centrale pour dialoguer directement au plus haut niveau avec l’État et le patronat et négocier de nouvelles conventions collectives. En 1923, durant la crise de la Ruhr, il fait front commun avec les patrons dans le mouvement de désobéissance passive contre l’occupation militaire franco-belge. Ses effectifs augmentent fortement passant de 2,5 millions en 1914 à 7,5 millions en 1921 avant de se stabiliser à un niveau encore de 4 millions d’adhérents à la fin des années 20. Il peut aussi compter sur la puissante « Bannière d’Empire » qui malgré son nom est une organisation d’anciens combattants républicains proches de l’ADGB et du SPD. C’est encore jusqu’en 1933, le syndicat le plus puissant d’Europe.

C L’impact de la crise et du nazisme

La crise fait monter les extrêmes politiques. La division de la gauche favorise l’arrivée des Nazis au pouvoir qui débouche sur la suppression des partis et des syndicats et la répression de leurs membres.

La montée des extrêmes

La crise économique de 1929 provoque un effondrement de la production et une flambée du chômage – 6 millions de chômeurs en 1932 soit 25 % de la population active. Cette situation profite aux partis extrêmes : à gauche au KPD qui double ses voix entre 1928 et 1932, à droite au Parti Nazi qui devient le premier parti allemand en 1932, sans jamais obtenir cependant la majorité absolue à lui seul. Cette radicalisation accroît la violence politique à chaque élection. Les militants de choc des partis, Front rouge communiste, Bannière d’Empire proche de l’ADGB et du SPD et S. A. nazis transforment l’espace public en terrain d’affrontement. Les combats physiques sont fréquents et souvent mortels. Le SPD, perçu comme un parti modéré et identifié à la République de Weimar, tente de se tenir à distance de cette brutalisation de la vie politique allemande sans y parvenir tout à fait. Il est la principale victime de cette montée des extrêmes. Il perd régulièrement des voix et des sièges aux élections. Il n’est plus, après 1930, le premier parti allemand. Alors qu’au contraire le KPD continue de progresser : en novembre 1932, une vingtaine de députés et à peine 4 % des voix seulement les séparent.

Document 4 Affiche du SPD contre le nazisme

(affiche électorale du SPD pour les élections de 1932 intitulée « Les Travailleurs sous l’emprise de la croix gammée », « Voilà pourquoi il faut voter pour le SPD »).

© INTERFOTO/Alamy Stock Photo.

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Expression écriteQuestions

1. Présenter le document.

2. Quelle est la signification du dessin ?

3. Comment qualifier le « ton » de l’affiche ?

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SolutionRéponses

1. Il s’agit d’une affiche électorale du parti socialiste pour une des campagnes électorales de l’année 1932 qui a compté trois élections : deux élections législatives et une élection présidentielle. C’est donc une affiche de propagande politique. Elle s’adresse aux ouvriers pour qu’ils votent en faveur du SPD.

2. Le message est clair : voter nazi (la croix gammée) c’est se retrouver enchaîné (le travailleur lié à la croix) c’est-à-dire privé de liberté, sous l’emprise d’un régime autoritaire. Le parti nazi promet du travail aux ouvriers en réalité il leur enlèvera leurs droits. Il s’agit d’alerter les travailleurs tentés par le vote nazi sur la vraie nature de l’idéologie national-socialiste.

3. Le ton de l’affiche est violent. L’enchaînement du travailleur à la croix gammée rappelle bien sûr la crucifixion du Christ. L’Allemagne est une nation chrétienne. L’image doit choquer, c’est son but.

Les Nazis au pouvoir

La division de la gauche, sans être un facteur unique, a joué un rôle majeur dans l’accession des Nazis au pouvoir. En 1932, l’addition des voix et des sièges du SPD et du KPD les placent au même niveau que le Parti Nazi – environ 35 % pour chacun des deux pôles. La stratégie de front républicain n’est toujours pas d’actualité pour le KPD qui reste figé dans son isolement tactique. L’affrontement entre les deux forces de gauche a même tendance à se durcir. En 1931, un journal communiste affirme : « c’est contre la social-démocratie que nous menons le combat principal ».

C’est en partie la menace communiste, concrétisée par le nombre symbolique de 100 députés atteint par le KPD aux élections de novembre 1932 qui pousse la droite allemande à s’allier aux Nazis pour offrir le pouvoir à Hitler. En 1933, la victoire définitive du nazisme n’est acquise qu’au prix de l’interdiction du parti communiste qui permet à Hitler d’atteindre la majorité des deux-tiers du Reichstag nécessaire à l’obtention des pleins-pouvoirs.

En juin 1933, les partis et les syndicats sont progressivement dissous. Le 14 juillet 1933, le Parti Nazi devient parti unique. Des milliers militants et la plupart des cadres des partis de gauche sont arrêtés et internés dans des camps de concentration pour être « rééduqués ». Le premier d’entre eux ouvre dès mars 1933 et est d’abord destiné aux opposants politiques. Ernst Thälmann, leader du KPD y est incarcéré immédiatement, il y sera exécuté en 1944. Kurt Schumacher, député socialiste, arrêté en juillet 1933, y restera jusqu’en 1944. D’autres parviendront à gagner l’étranger, en France ou en Angleterre surtout, pour reconstituer des partis en exil. D’autres enfin s’engageront dans la clandestinité pour mener en Allemagne une Résistance de l’intérieur au régime nazi comme le mouvement Neu Beginnen, « nouveau départ » socialiste ou l’Orchestre rouge communiste. La Résistance allemande au nazisme a été un phénomène massif qui s’est appuyé d’abord, mais pas exclusivement, sur ces forces de gauche.

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Le nazisme : une variante du socialisme ?

« Nazi » est la contraction de national-socialiste (national-sozialistische en allemand), c’est-à-dire la première syllabe de « National » et la deuxième de « Sozialistische ». Certes le NSDAP – le nom complet du parti : National-Sozialistische Deutche Arbeiter Partei, parti national-socialiste des travailleurs allemands – créé en 1920 par Hitler, comportait dans son programme des mesures empruntées au socialisme comme la nationalisation des trusts ou l’engagement de l’État à procurer des moyens d’existence à tous les citoyens. Mais le terme de « socialiste » ne doit pas faire illusion. Outre que ces mesures ont été oubliées par la suite et que le nazisme n’a jamais rompu avec le capitalisme, l’essentiel du programme nazi, ultranationaliste, pangermaniste, raciste et antisémite, est complètement étranger au socialisme. Et le régime totalitaire construit par les Nazis à partir de 1933, s’il a des structures communes avec le communisme stalinien, s’en distingue par son exclusivisme racial et se situe aux antipodes du socialisme démocratique défendu par le SPD.

En 1933, le bilan est terrible pour la gauche politique et syndicale allemande. Partis et syndicats ont disparu. Commence pour eux une longue période d’étouffement et de ruine. Les divisions entre socialistes et communistes n’y sont pas étrangères. Ce constat servira l’année suivante, en 1934, de leçon à la gauche française qui entamera alors un processus d’union menant à la formation du Front populaire et à la victoire électorale de juin 1936. Un scénario inverse de celui de l’Allemagne.


Modifié le: Wednesday 18 March 2020, 13:29