Chapitre 3 L’après de Gaulle et l’après-Mai 68

Chapitre 3

chapitre 3

A L’élargissement du paysage radiophonique
et télévisuel

L’aspiration au changement ne pourra donc plus être ignorée par les successeurs de de Gaulle. V. Giscard d’Estaing (1974 – 1981) contribue à l’éclatement de l’ORTF mais sans remise en cause du monopole d’État sur l’audio-visuel. François Mitterrand (1981 – 1995) met fin au monopole et favorise l’ouverture de la radio et de la télévision au privé. La France peut entrer alors dans l’ère de la communication c’est-à-dire la construction de l’image par des experts en marketing, mais aussi des enquêtes d’opinions, de l’audimat c’est-à-dire la mesure des audiences et de la segmentation des publics par tranches d’âge ou catégories sociales. Les médias audio-visuels s’adaptent à l’opinion, essaient de s’identifier à elle et de la sonder.

Les hommes politiques découvrent le marketing, les conseillers en communications, le media-training, c’est-à-dire l’entraînement aux médias, la rhétorique émotionnelle, les cotes de popularité et les sondages. L’opinion est-elle fabriquée pour autant ? Les médias font-ils l’élection ? Sans doute jouent-ils un rôle dans l’émergence des thèmes de campagne, dans « l’ordre du jour politique » des campagnes électorales par la sélection et la répétition de l’information : « la fracture sociale » en 1995 ou l’insécurité en 2002 par exemple. Peut-être influencent-ils aussi les indécis. Mais ils ne modifient pas en profondeur les intentions de vote qui se cristallisent autrement.

Parallèlement à cela, la presse écrite d’information est en crise. Média exigeant, jugé par certains austère, coûteux, elle est la grande perdante du renouvellement médiatique des dernières décennies. Son rôle avait été capital dans la formation d’une opinion publique libre et dans l’avènement de la démocratie, il est désormais un média secondaire.

Ainsi la question de l’indépendance des médias et son corollaire, la formation libre de l’opinion publique, continuent de se poser, mais sous d’autres formes. On craint moins désormais les effets de la censure et de la propagande qui ont tant sévi au XXe siècle qu’un mauvais usage de la communication télévisuelle.

B Les médias et l’opinion à l’heure d’Internet

Internet apparaît de plus en plus comme un média qui transcende les autres médias et qui renouvelle la diffusion de l’information. Ou est-ce seulement un support, un outil qui relie les individus et qui diffuse des informations ? Si c’est un média, il participe du mille-feuille médiatique généralisé. L’opinion dispose désormais d’une gamme très étendue de médias dont elle use à volonté. Internet est un média global qui donne accès à tous les autres médias sur un support unique, PC ou mobile, aisément utilisable, partout et à tout moment.

Les médias à l’heure des réseaux sociaux

Les réseaux sociaux sont apparus sur Internet à la fin des années 1990. Ils réunissent des personnes ayant soit des liens dans la vie réelle soit des centres d’intérêt commun. La plupart des réseaux sont nés dans les années 2000 : Facebook en 2004, Twitter en 2006 ou encore Instagram en 2010. Ils s’imposent petit à petit comme des intermédiaires entre les médias et leurs usagers. Avec les blogs, ils participent à ce qu’on appelle le « web 2.0 », dans lequel tout usager d’Internet peut facilement devenir créateur et diffuseur d’une information. Les réseaux sociaux, destinés à l’origine à partager des informations personnelles, sont devenus des sources d’informations.

Les réseaux sociaux concurrencent les médias traditionnels du fait de leur rapidité à diffuser les informations. La revue américaine PLOS One a publié une étude en août 2015 portant sur l’usage de Twitter dans 62 pays. Il en ressort que 60 % des informations sont diffusées d’abord sur Twitter avant d’être reprises par les médias traditionnels. Les réseaux sociaux sont donc plus rapides que les médias traditionnels. En outre, les réseaux sociaux permettent à l’utilisateur d’être informé sans passer par les médias traditionnels en fournissant un résumé des informations les plus pertinentes du moment. Ainsi le service « Moments de Twitter » présente les informations clés de la journée en temps réel.

Enfin, sur les réseaux sociaux, les utilisateurs peuvent se faire eux-mêmes sources d’information. D’une part, ils peuvent être témoin d’un événement. L’arrestation de Dominique Strauss-Kahn en mai 2011 a ainsi été dévoilée grâce à un tweet français : un jeune militant de droite est le premier à signaler l’arrestation, à New York, du patron du FMI. D’autre part, les réseaux sociaux servent aussi à diffuser des messages qui font l’actualité. C’est le cas, par exemple, des candidats à la présidentielle de 2017 qui ont annoncé leur candidature sur twitter.

Les médias traditionnels réagissent à la montée en puissance des réseaux sociaux dans le domaine de l’information. D’une part, les médias traditionnels disposent de profils sur les réseaux sociaux. Ainsi, il est possible de consulter le Monde sur Twitter : ce profil est suivi, en 2017, par près de 6 millions d’internautes. Le journal a même créé plusieurs profils afin de proposer des informations ciblées selon les publics. Pour suivre l’actualité africaine, l’internaute peut donc suivre le fil du « Monde Afrique ». De même, les médias traditionnels s’appuient sur les réseaux sociaux pour mobiliser leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs téléspectateurs. Ils les invitent à réagir aux émissions ou aux articles. Les réseaux sociaux permettent donc une interactivité plus importante. D’autre part, les médias traditionnels peuvent diffuser leurs articles de fond via les réseaux sociaux. Ainsi, Facebook a lancé en mai 2016, « Instant Articles » qui permet aux éditeurs de presse traditionnelle d’héberger leurs contenus directement sur le réseau social. Les lecteurs peuvent donc accéder aux articles sans quitter l’application. Les médias traditionnels peuvent toucher de nouveaux lecteurs ou téléspectateurs, faire découvrir le contenu d’un journal à des gens qui ne le lisent pas spontanément.

Ainsi, les réseaux sociaux sont devenus des médias diffusant des informations massivement. Mais les médias traditionnels proposent toutefois des analyses plus fines et un champ d’informations plus large. Ces informations, disponibles massivement sur internet, posent la question de leur fiabilité.

Document 9 Les paradoxes de l’utilisation d’internet comme source d’informations

« Les pratiques d’information changent : Internet progresse malgré la méfiance à son égard. En effet, l’utilisation de la télévision pour s’informer sur l’actualité baisse : elle concerne moins d’un Français sur deux (48 %). La télévision subit ainsi la défiance à l’égard des chaînes d’information en continu, source d’approfondissement de l’actualité de 30 % des Français. C’est Internet qui bénéficie de ce changement : il est le moyen d’information principal d’un quart des Français (…) alors même que sa crédibilité est la plus faible de tous les media. Sur internet, les sites et applications mobiles de la presse écrite et les réseaux sociaux prennent une place grandissante (…) Pour autant, les journaux télévisés des grandes chaînes généralistes restent de loin la source d’approfondissement de l’actualité préférée des Français (56 %). »

C. MARCÉ, Baromètre 2017 de la confiance des Français dans les médias, février 2017.

Si Internet est un moyen rapide d’approfondir ses connaissances selon ses besoins (loisir, détente, information, culture) c’est aussi la possibilité de se perdre dans un tourbillon médiatique qui créé de la confusion voire de la désinformation.

Document 10 Le problème de la désinformation sur Internet

« Ce paradoxe est illustré par l’exposition et la croyance dans des rumeurs relayées sur Internet. Alors que près des trois quarts des Français (73 %) n’ont pas confiance dans les informations qui circulent sur les réseaux sociaux et que 83 % des utilisateurs des réseaux sociaux disent y avoir déjà repéré des fausses nouvelles ou des rumeurs, certaines « intox » sont vraies pour une grande partie des Français. Parmi elles, celles liées à l’immigration et créées par la « fachosphère » sont les plus ancrées. Ainsi, la réservation par l’État de 77 000 HLM pour l’accueil des familles de migrants est une information vraie pour 39 % et fausse pour 39 % également. De même, les subventions des maires de villes de province pour faire venir des personnes étrangères de Seine-Saint-Denis est une information vraie pour 38 % des Français, contre 31 % pour qui elle est fausse. »

C. MARCÉ, Baromètre 2017 de la confiance des Français dans les médias, février 2017.

En tant que self-média - média que chacun se construit pour recevoir mais aussi pour diffuser de l’information – il participe également à l’émiettement et au retournement – notamment politique - de l’opinion. Le lecteur se forge lui-même son opinion et peut en changer plus facilement. Chacun peut, grâce à l’inépuisable source d’informations que procure Internet, devenir expert – ou croire qu’il le devient. Internet est le reflet des sociétés de l’information et de la formation, mieux éduquées, plus autonomes, plus exigeantes.

En tant qu’outil interactif, grâce aux blogs, aux forums, aux pétitions, aux réseaux sociaux, Internet génère de nouvelles communautés capables d’exercer un contre-pouvoir, de mobiliser – comme lors des Révolutions arabes – et de créer de l’opinion. Par sa plasticité, son immédiateté, son accessibilité, sa variété, son interactivité, Internet modifie les rapports entre médias et opinion. Internet devient un espace public de débat et le lieu d’expression de la démocratie numérique directe comme en témoigne la multiplication des pétitions en ligne. C’est un outil qui laisse aussi place à la rumeur, à l’emballement, à l’erreur mais qui peut donner à l’opinion un pouvoir qu’elle n’a jamais eu et à une échelle inédite qui n’est plus seulement celle de l’État nation traditionnel mais qui est mondiale.

Conclusion

Les crises politiques du XXe siècle ont révélé toute la complexité des interactions entre médias, opinion publique et pouvoirs. Les crises françaises du XXe siècle offrent autant d’exemples de la vigueur et de l’indépendance de l’opinion, avec les dreyfusards, les canards de tranchées, la presse de la Résistance, les hebdos des années cinquante etc. - que des dévoiements médiatiques et des contraintes politiques qui ont pu la manipuler ou l’étouffer. Elles nous montrent ainsi les interactions entre les médias et la démocratie.

espace

Synthèse médias et opinion publique


Modifié le: Wednesday 1 April 2020, 10:16