2.1 La liberté

Problème de définition

Au sens général du terme, la liberté est l’état de l’être qui ne subit aucune contrainte, qui agi conformément à sa volonté, à sa nature. Elle est l’absence de contrainte ou de limitation extérieure ou intérieure. La liberté, ainsi définie, est, en définitive, synonyme d’illimitation. Or l’expérience nous montre, à chaque instant, que l’homme est un être limité dans le temps et dans l’espace. Que peut bien être une illimitation par un être limité politiquement, biologiquement, psychologiquement, etc. La liberté n’est-elle pas un mythe ?

 La liberté : réalité ou mythe ?

 La liberté est une réalité

N’avons-nous pas tous le sentiment intérieur que nous sommes libres ? La réflexion, le dote, la possibilité d’affirmer ou de nier, le pouvoir de choisir, nous font saisir que nous sommes libres. C’est cette liberté absolue de l’homme qu’implique le cogito cartésien et que Descartes défend lorsqu’il parle de libre- arbitre qui, selon lui, ne souffre d’aucune limitation. Mais si l’homme a une volonté illimitée, son entendement est cependant limité. Il ne peut pas tout connaître.

René DescartesRené Descartes appelle la liberté d’indifférence cet état dans lequel la volonté se trouve lorsqu’elle n’est pas portée par la connaissance de ce qui est vrai ou ce qui est faux, à suivre un parti plutôt que l’autre. Pour lui, la liberté d’indifférence, liée à l’ignorance est le plus bas degré de la liberté. Bien avant le philosophe du cogito, le pouvoir absolu qu’a l’homme d’exercer son jugement, de donner son assentiment, était déjà affirmé par les stoïciens. En effet, tout en reconnaissant qu’il y a des choses qui dépendent de nous et d’autres qui ne dépendent pas de nous, les philosophes du Portique soutiennent que les représentations dépendent entièrement de nous car, par la volonté, nous pouvons nous sentir roi aussi bien en prison que sur le trône. La thèse du libre-arbitre, notamment la liberté d’indifférence, conduit à l’affirmation des actes gratuits qui sont des actes immotivés, « sans raison, ni profit » (cf. LAFCADIO dans les Caves du Vatican de André Gide.

Dans cet ouvrage, Gide décrit l’acte gratuit en l’illustrant à travers les gestes absurdes de son personnage Lafcadio qui balance un voyageur hors du compartiment d’un train en pleine vitesse. Ce crime gratuit exprime ainsi la liberté du personnage qui aurait ainsi agi sans motif, ni raison. Le problème est de savoir si le personnage Lafcadio a réellement agi sans motif et sans raison ? C’est pour se prouver sa liberté que Lafcadio a commis un tel crime. Il a agi sous le motif du « je suis totalement libre ». Apparemment gratuits, ces actes sont en réalité soit déterminés par des forces psychiques inconscientes, soit par le simple désir intérieur d’agir gratuitement.

Notons bien que l’acte gratuit n’est pas sans rappeler cette autre forme de liberté dénommée liberté d’indifférence. Cette forme de liberté s’exprime lorsque l’individu est confronté à un choix, à une alternative. Comment choisir entre la solution A et la solution B en agissant librement, c’est-à-dire sans contrainte ? Pour agir librement dans le choix auquel l’individu est confronté, il doit agir sans préférence pour la solution A ou pour la solution B, c’est-à-dire de manière indifférente.

Jean Buridan imagine l’histoire d’un âne qui avait faim et soif. La pauvre bête est placée entre un tas d’avoine et un seau d’eau. Comment choisir entre les deux ? L’âne se laisserait mourir de faim et de soif parce que, contrairement à l’homme, il n’aurait aucun pouvoir de se déterminer, aucun motif entre satisfaire sa faim et étancher sa soif ne pouvant l’emporter sur l’autre. Pour Descartes, la liberté d’indifférence est le plus bas degré de liberté. La solution A et la solution B étant équivalentes, soit on choisit A, soit on choisit B. Le libre-arbitre est la faculté de choisir de manière absolue. Il s’agit d’agir sans raison, d’agir parce que nous devons agir de manière totalement libre. Il s’agit de choisir entre la liberté et l’esclavage, et pou le libre-arbitre nous sommes entièrement libres ou entièrement esclaves. Quant à la liberté abstraite et purement intérieure comme celle des Stoïciens, elle est plus chimérique que réelle car, qu’est-ce qu’être libre dans les fers et qu’est-ce qu’une liberté qui n’a point d’expression réelle ?

 La liberté absolue est un mythe

La liberté humaine est incarnée et elle est toujours en situation. Au plan politique et social, l’homme est toujours soumis à des lois. C’est-à-dire donc qu’être libre, c’est être libre en société, et la liberté de l’homme ne sera que la liberté de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi et de refuser de faire ce qu’elle n’ordonne pas. Des lois physiques ou sociales pèsent sur l’homme. Ce qui laisse entendre, si l’on en croit Spinoza, que c’est une grande illusion que de se croire libre au sens de ne subir aucune contrainte. L’homme est soumis à la loi de la nécessité comme le reste de la nature. Sous ce rapport, être libre c’est :

  • accepter la nécessité c’est-à-dire ce qui ne dépend pas de nous.
  • repenser la situation comme in veut, la transcender c’est-à-dire la modifier par la, pensée en l’acceptant ou en la rejetant.

Jean-Paule SartreC’est dans ce sens qu’il faut comprendra le propos de Jean-Paul Sartre [1] : « jamais nous n’avons été aussi libres que sous l’occupation allemande », et celui de Jean-Jacques Rousseau : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

Il est sans conteste que, sur le plan extérieur, la liberté absolue est un mythe, un mot sans contenu.

Karl Marx [2] ne pense pas autre chose. Il nie plutôt même la liberté pour mettre davantage l’accent sur l’aliénation politique, économique et culturelle dans laquelle l’homme se trouve. Ainsi au lieu de liberté, il préfère plutôt parler de libération de l’homme.

Karl MarxSur le plan moral, Emile Durkheim rejette l’idée d’une liberté de la conscience individuelle car, pour lui, la conscience individuelle n’est que le produit de la conscience collective. Enfin au double plan moral et psychologique, Sigmund Freud [3] affirme de façon révolutionnaire que l’homme ignore les véritables déterminations de son comportement qui sont inconscientes. Ainsi, selon le père de la psychanalyse, l’homme est le jouet de sa maladie qu’il ignore : tous les hommes sont plus ou moins névrosés.

Sigmund FreudAu total nous retiendrons que, de même que nous avons reconnu que la liberté absolue est un mythe et non un fait, de même nous disons aussi que chez l’homme la détermination absolue est un mythe. L’homme n’est pas contraint jusqu’au bout. Il a au sein des déterminismes physique, biologiques, social, inconscient, etc., une marge de manœuvre où peut s’insérer son action libératrice ou créatrice. La liberté n’est pas u vain mot. Elle est une réalité. Cependant, elle ne peut être pour l’homme qu’une réalité incarnée c’est-à-dire en situation, non absolue, conditionnée par divers facteurs plus ou moins déterminants, mais jamais absolument déterminants.

 Liberté et déterminismes

Définitions des notions

Selon Charles, Renouvier, la liberté est le pouvoir que l’homme se reconnaît d’agir « comme si les mouvements de sa conscience et par suite les actes qui en dépendent (…) pouvaient varier par l’effet de quelque chose qui est en lui et que rien, non pas même ce que lui-même est avant le dernier moment qui précède l’action, ne détermine ». Pour André Lalande, le déterminisme est par contre « la doctrine philosophique suivant laquelle tous les événements de l’univers, et en particulier les actions humaines, sont liés d’une façon telle que les choses étant ce qu’elles sont à un moment quelconque du temps, il n’y ait pour chacun des moments antérieurs et ultérieurs qu’un état et un seul qui soit compatible avec le premier ». On distingue diverses sortes de déterminisme qui semblent toutes, à première vue, enlever à la liberté sa valeur réelle.

La liberté face aux déterminismes

le déterminisme physique

Exposé : il dit que dans la nature, tout est régi par des lois nécessaires.
Discussion : il faut bien comprendre le sens de liberté et bien la situer. La liberté, en effet, se joue au niveau des raisons et des motifs et non au niveau des causes physiques. Les causes physiques produisent certes leurs effets, mail il reste en mon pouvoir de les organiser de sorte qu’elles produisent les effets que je veux. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre Francis Bacon lorsqu’il affirme « on ne commande à la nature qu’en obéissant à ses lois ».
C’est dire, en somme, que déterminisme physique et liberté ne s’excluent pas. Il nous rappelle par contre qu’il n’y a pas pour l’être physique humain de liberté absolue.

Le déterminisme biologique

Exposé : il dit que toute notre activité est rigoureusement déterminée par notre héritage biologique et l’action du milieu.
Discussion : il ne faut pas nier une certaine influence du biologique et du milieu sur le psychique. Mais cela n’exclut pas la liberté. Il laisse une marge de manœuvre à l’individu qui peut, par exemple, se retenir de bailler quand son organisme l’y pousse.

Le déterminisme social

Exposé : il dit que toutes nos actions et pensées sont déterminées par notre milieu social.
Discussion : l’influence du milieu social n’est pas absolue. Sinon les cas des non-conformistes, des contestataires et des révolutionnaires ne s’expliqueraient pas de façon satisfaisante. Ils supposent pour être possibles, la possibilité de l’individu de se démarquer de sa société tout en demeurant un être essentiellement social.

Le déterminisme issu de l’inconscient

Exposé : il affirme qu’en réalité la conduite de l’homme est déterminée par des tendances instinctives dont l’homme n’a pas conscience, si bien que l’homme se trompe quand il croit agir librement.
Discussion : il faut reconnaître l’apport positif de la psychologie des profondeurs qui révèle que la liberté absolue est une illusion. Mais il n’en demeure mas moins que l’homme garde le pouvoir d’orienter ses tendances vers les fins qu’il s’est choisies. Par ailleurs la méthode psychanalytique, qui vise à affranchir le patient de l’action des tendances refoulées, plaide en faveur de la liberté que ne nierait pas Freud qui soutient que le psychanalyste doit avoir le seul désir de voir le malade prendre lui-même ses décisions.

Ainsi la liberté traduit la volonté de l’homme qui veut penser et agir sans subir de contrainte. ll est question de se demander si l’homme peut être totalement libre. La liberté absolue libre-arbitre est-elle une illusion ou une réalité ? La vie humaine peut-elle se concevoir sans l’acceptation des contraintes ?


Modifié le: Wednesday 1 April 2020, 09:54