2.3 Le langage

Définition

André Lalande, dans son vocabulaire technique et critique de la philosophie, définit le langage selon une double acception. Il le définit d’abord comme « l’expression verbale de la pensée soit intérieure soit extérieure ». Une telle définition cadre bien le langage dans le domaine social : mais il faut signaler d’emblée que le signe linguistique déborde le verbe, le son articulé.

Il définit ensuite le langage comme étant « tout système de signes pouvant servir de moyen de communication ». Cette deuxième définition présente l’avantage d’être moins limitative que la première car, le langage n’y est plus défini en référence seulement au verbe, mais il caractérise tout système de signe. En ce sens le signal, le symbole, etc.… sont autant de moyen de communication.

 Langage humain et langage animal

Selon certains penseurs, il existe un langage animal. C’est le cas du zoologiste autrichien Karl Von Frish qui a mené une étude exhaustive du système de communication chez les abeilles. Certes ses travaux ont montré qu’il y a un échange d’informations chez les abeilles mais cela ne dénote pas forcément de l’existence d’un langage. Et cela, un certain nombre de raisons nous autorise à l’affirmer. Le premier critère discriminatoire est celui de la pensée. En effet Descartes dans Le discours de la Méthode (5° partie, § 10) affirme que « la parole est l’expression de la pensée et elle n’appartient qu’à l’homme puisque les animaux n’ont aucune pensée ».

Aristote (source : wikipedia)Bien avant lui Aristote dans sa Politique opposait le logos à la phoné : le logos c’est le discours humain ou la faculté d’expression des sentiments et des idées, la phoné c’est le cri animal, la simple expression de besoin naturel. C’est par instinct que l’animal trouve l’équipement physique et physiologique dont il a besoin pour communiquer avec ses semblables. Cependant il peut arriver que l’animal dépasse sa nature, c’est le cas du dressage ou de la domestication qui n’est que le simple résultat d’un conditionnement ; d’une éducation provoquée par l’homme ; de ce point de vue l’animal ne fait que répondre par accoutumance à des signaux, à des existants conditionnés car le rapport du signal conditionnel au comportement attendu est simplement vécu et non pensé par l’animal (cf. : Réflexe conditionnel de Pavlov).

Mais là où le langage humain se démarque réellement de la communication chez les animaux, c’est là où il cesse d’être expressions des besoins et des émotions, pour devenir représentation d’un fait objectif, éloigné des tendances.

En définitive, la communication animale prisonnière des automatismes, c’est un langage instinctif et expressif qui ne fonctionne que par des signaux, alors que la faculté d’abstraire et de symboliser les objets et les impressions par des signes inventés lui fait défaut. Et c’est précisément cette faculté qui fait du langage une expérience spécifiquement humaine.

 Le langage et la pensée

Les problèmes du rapport entre le langage et la pensée sont classiques. D'ordinaire on les pose sous la forme d’une alternative : doit-on oui ou non admettre la primauté de l’un sur l’autre ?

  • Antériorité de la pensée sur le langage

Certains penseurs estiment que le langage n’est que l’expression à posteriori d’une pensée déjà constituée. .Autrement dit la pensée serait antérieure et même extérieure au langage, et ce dernier aurait pour rôle de l’habiller de mots. En plus, on a l’impression qu’il y a une inadéquation entre la pensée et son expression verbale qui est le langage. Cela veut dire que le signe peut échouer en rendant compte du sens, ou bien, s’il n’y parvient pas c’est au risque de le dénaturer. Bergson soutient dans ce sens que « nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent ». Dans ce sens, nous pouvons dire que le langage mutile la pensée, il appauvrit et trahit la richesse de la pensée. Au lieu d’exprimer le moi profond, le pur jaillissement de la pensée, la richesse et la fluidité des impressions et des sensations, le langage n’exprime que les aspects conventionnes et superficiels de a pensée. Mais ces raisons sont-elles suffisantes pour que la pensée puisse se penser du langage ? Vladimir Jankélévitch pense que non car pour lui, le langage est l’instrument obligé », l’instrument incontournable que la pensée emploie pour se dévoiler. En ce sens là, le langage devient une contrainte pour la pensée pure du fait de sa double nature d’organe obstacle et d’empêchement du sens à se livrer dans s pureté originelle. Le langage fonctionne ainsi comme un mal nécessaire : mal en ce sens qu’il dénature et prostitue le sens ; nécessaire dans la mesure où il est la voie obligée de toute signification.

  • Consubstantialité entre langage et pensée

Certains penseurs soutiennent en revanche que l’antériorité de la pensée sur le langage n’est que théorique puisque même quand nous cherchons nos mots, nous les cherchons avec d’autres mots. Ce qui fait qu’on ne peut pas isoler une pensée pure. Lorsque nous pensons et raisonnons, nous ne manipulons pas des pensées à l’état pur, mais directement des mots qui fixent le sens. Selon Hegel, ce serait même une activité insensée de vouloir penser sans les mots, car pour lui « la force externe », c’est-à-dire le mot et « l’activité interne » c’est-à-dire la pensée sont liées. Toute pensée qui ne trouve pas de mots reste ineffable et obscure. Ce qu’on appelle une pensée pure c’est, en réalité, un simple langage intérieur. C’est ce que dit Maurice Merleau Ponty : « le silence est bruissant de paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur ».

La pensée pure n’est qu’une nébuleuse dont nous parle Ferdinand de Saussure et elle ne s’éclaircit qu’avec l’apparition du langage ; et il poursuit en disant : « la langue est comme une feuille de papier, la pensée est le verso et le langage, le recto ; on ne peut découper le recto sans découper en même temps le verso. De même, dans la langue on ne saurait isoler ni le son de la pensée, ni la pensée du son ».

Les fonctions du langage. D’après Georges Mounin, c’est à la linguistique de sont temps que revient le mérite d’avoir identifié différentes fonctions du langage.
La fonction de communication. Les linguistes s’accordent pour faire de la communication la fonction première du langage. André Martinet dans ses Eléments de la linguistique générale dit que : « c’est la communication qu’il faut retenir comme fonction centrale de cet instrument qui est la langue ». En effet quand on s’exprime, c’est pour un auditoire. Le langage est toujours une diffusion d’informations et tout acte de parole met en jeu quatre élément liés : l’émetteur c’est-à-dire le locuteur, le destinateur, le récepteur, c’est-à-dire l’interlocuteur ou le destinataire ; le troisième élément c’est le code c’est-à-dire la langue et le quatrième élément c’est le message, c’est -à- dire le sens.
La fonction expressive. Elle est celle par laquelle dit G. Mounier « le locuteur manifeste son affectivité volontaire à travers ce qu’il dit ». Elle est aussi la fonction par laquelle, tout en signifiant la réalité, on cherche aussi à la mimer par le mot, à l’imiter dans ce qu’elle a de plus naturel. Le langage devient selon Merleau Ponty « une manière pour le corps humain de vivre et de célébrer le monde »
La fonction magique. En ce sens, le langage a la possibilité d’anticiper sur le futur et de restituer le passé, de dire ce qui n’est pas encore. Le mot, en disant la chose, paraît la dominer et a gouverner, il a alors une valeur cathartique, incantatoire (la catharsis). Exemple : les incantations du sorcier qui, grâce au verbe, agit sur les êtres et sur les phénomènes. Tout cela donne au mot une force opératoire, celui qui possède le mot possède alors la chose ou la force désignée.
La fonction esthétique. Ici c’est le beau qui est recherché avant tout, la forme, l’intonation, la rime, mais aussi le débit et le rythme. Exemple  : la poésie.

Modifié le: Wednesday 1 April 2020, 09:54