Politique Partie 1 S’interroger et problématiser

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Étape 1

Etape 1

S’interroger et problématiser : Qu’est-ce que la politique ? (toutes séries)

Le serment du jeu de paume (1794), par Jacques-Louis David.

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Dans le cadre de la séquence 1, consacrée à la culture, vous avez abordé le mythe de la triple distribution (par Épiméthée, Prométhée puis Zeus), tel que relaté dans le dialogue de Platon intitulé Protagoras (voir l’étape 1-B/4 : La culture, propre de l’homme ?). Insistons ici sur le fait que ce mythe est un récit de cosmogonie (c’est-à-dire un récit relatif à la naissance du monde), du grec ancien cosmogonia (cosmos : le monde, et gonia : création, génération). Il est raconté dans ce mythe qu’après la création des espèces, Épiméthée, à l’occasion d’une première distribution de qualités et facultés, a laissé l’homme nu, dépourvu de tout moyen de défense et d’attaque, contrairement aux autres animaux ; ce que la deuxième distribution, opérée par Prométhée a permis de compenser (en volant « à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu », il dote les hommes de la capacité technique) ; mais la capacité technique est elle-même de nature à entraîner des conflits entre les hommes ; d’où la nécessité de la troisième distribution, par Zeus, de la justice (dikè) et de la vergogne ou honte (aidos). La justice et la honte, principes et sentiments moraux fondateurs de l’ordre politique, interviennent alors en compensation de la conflictualité à l’œuvre au sein de l’espèce humaine. Avec cette troisième distribution, on accède ainsi au domaine politique caractérisé notamment par le droit de la cité qui vient réaliser ce principe de justice.

Nous venons de mentionner le terme « cité ». Que faut-il entendre par là ? En grec ancien, la cité se dit polis, terme proche de politeia qui signifie la république, et qui a donné le mot « politique ». La cité, c’est d’abord une ville indépendante politiquement, par exemple Athènes à l’époque de Socrate, au 5e siècle avant notre ère. Mais au-delà de l’idée de ville, la cité signifie la « république », du latin respublica : chose publique, c’est-à-dire chose commune, en partage entre les citoyens. Dès que l’on parle de cité, on s’intéresse à la façon dont les citoyens sont ou ont vocation à être concernés par la république à laquelle ils appartiennent ; c’est d’abord par l’intermédiaire de la loi que les citoyens sont appelés à se réunir au sein d’une cité.

A L’objet de cette séquence

Dans cette séquence consacrée à la politique, nous nous intéresserons notamment aux notions suivantes du programme de philosophie de terminale : la société (et les échanges), la justice et le droit, l’État, la liberté.

Lorsque l’on évoque « la » politique, on vise bien souvent un choix politique partisan ; on se réfère par exemple à une politique qui serait « de gauche » ou à une politique « de droite ». Ce partage, en France, renvoie historiquement à ce qui sépare ceux qui, ont voté la mort du roi Louis XVI de ceux qui ont refusé une telle condamnation, même si, par la suite, ce partage s’est complexifié et recomposé. « La » politique, cela peut renvoyer également à un domaine spécifique de questions et de réflexions relatives à la cité et à son organisation générale. C’est ainsi qu’en philosophie, lorsqu’on parle de « la politique », on renvoie à un domaine d’étude spécifique. Par ce terme, mais plus nettement lorsqu’on emploie le genre masculin « le politique », on se réfère au fait de vivre ensemble au sein d’une même cité, ou encore d’une même république. « Le » politique peut encore désigner le personnel politique, autrement dit les hommes et les femmes politiques.

La spécificité du domaine « politique » en philosophie est que son étude se nourrit aussi de la science politique (née au début du 16e siècle, en Italie, avec Nicolas Machiavel), de la théorie du droit, de l’histoire politique et de la sociologie (née au 19e siècle – pour ce qui concerne la France – avec Émile Durkheim, qui était
philosophe).

La naissance de la réflexion philosophique sur la cité est contemporaine de la naissance de la philosophie dans son ensemble, au 5e siècle avant notre ère, avec Socrate. Le mot politique vient du grec ancien (polis).

Un citoyen est l’habitant d’une cité, mais – plus encore – il est celui qui contribue activement à la vie de celle-ci. D’abord parce qu’il s’insère dans la division du travail. La division du travail est une notion qui renvoie au fait qu’au sein d’une même cité tous ne sont pas cordonniers, tous ne sont pas charpentiers, tous ne sont pas boulangers, etc. : l’ensemble du travail accompli collectivement, au sein de cette cité, est au contraire divisé, réparti entre les citoyens. Mais, à la différence du labeur, qui est spécialisé, la politique intéresse en droit tous les citoyens : le citoyen est susceptible de contribuer activement à la vie de la cité en tant qu’il peut participer aux délibérations et aux décisions, voter et être élu (dans un système autre que la démocratie directe, où l’on contribue directement à la décision concernant les lois).

La prise en compte des rapports entre citoyens suppose de poser la question du pouvoir. Ce dernier peut renvoyer à la force physique, à la force armée, à un ascendant psychologique, à un certain caractère ou tempérament apte à influer par la séduction (on parle alors de pouvoir « charismatique »).

Le concept de pouvoir peut également désigner, dans le cadre des institutions d’un État, trois formes différentes d’exercice d’une autorité politique :

1. Le pouvoir exécutif (qui applique la loi dans le cadre de la conduite générale de l’État et au travers de la direction politique de l’administration). En France, ce pouvoir est détenu par le Président de la République et le gouvernement (ensemble des ministres et secrétaires d’État). (Voyez les titres II et III de la Constitution :

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/la-constitution-du-4-octobre-1958/texte-integral-de-la-constitution-du-4-octobre-1958-en-vigueur.5074.html.)

2. Le pouvoir législatif (qui crée la loi). En France, ce pouvoir est détenu par le parlement lui-même composé de deux chambres : l’Assemblée Nationale (« chambre basse ») et le Sénat (« chambre haute »). (On parle de « bicamérisme » pour désigner la coexistence de deux chambres.)

3. Le pouvoir ou l’autorité judiciaire (qui contrôle l’application des lois et sanctionne les infractions à celles-ci). En France, ce pouvoir est détenu par les juges, répartis selon deux ordres : d’une part, l’ordre judiciaire, qui est formé à la fois par la justice pénale (punir) et par la justice civile (mettre fin aux litiges entre personnes privées, physiques ou morales) ; et d’autre part, l’ordre administratif, qui regarde les relations entre les personnes privées et notamment l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics. Au sommet de ces deux ordres se trouvent, respectivement, la Cour de cassation (ordre judiciaire) et le Conseil d’État (ordre administratif). À cela on peut ajouter le pouvoir du Conseil constitutionnel (qui est juge de la compatibilité des lois elles-mêmes à l’égard de la Constitution de la cinquième République).

Pour approfondir

Avec Spinoza, philosophe hollandais du 17e siècle, il est également envisageable de distinguer le pouvoir politique (imperium en latin), le pouvoir de domination (potestas) et la puissance (potentia). L’imperium renvoie à l’idée d’État et de pouvoir politique exercé à partir de lui et/ou sur lui. Le « pouvoir » (potestas) désigne plutôt une situation de domination (par exemple entre un maître et son esclave, ou entre un despote et son peuple, mais au fond il y a de la potestas dans toute autorité coercitive). La « puissance » (potentia) renverrait plutôt à une certaine importance d’intensité d’existence d’un individu ou groupe d’individus (sans que celle-ci se traduise nécessairement sur le plan politique, et sans qu’elle donne nécessairement lieu à une relation de domination).

Très simplement, cela signifie que si je progresse en mathématiques, dans la connaissance d’une langue étrangère, dans l’accomplissement de certains mouvements réglés de mon corps (dans le cadre d’un sport ou d’une danse, par exemple), dans tous ces cas, j’accède à un niveau plus élevé d’intensité d’existence individuelle : j’accrois ma puissance. Il se trouve encore que si je communique avec autrui autour de mon savoir mathématique (et du sien), si j’enseigne une langue étrangère à des élèves ou encore si je la « pratique » avec autrui, ou enfin si la maîtrise réglée des mouvements de mon corps s’inscrit dans le cadre d’un sport collectif ou d’une danse impliquant plusieurs danseurs, dans tous ces cas le groupe d’individus auquel j’appartiens accède à un plus haut niveau d’intensité d’existence : nous accroissons notre puissance collective.

Ces trois notions – imperium, potestas, potentia – renvoient à des éléments distincts, mais elles peuvent parfois être combinées pour décrire une même réalité complexe : ainsi, dans une démocratie représentative (c’est-à-dire avec des représentants élus), qui est une certaine forme d’imperium étatique, nos représentants exercent sur nous une forme de pouvoir (potestas), mais – comme il s’agit d’une démocratie – ils le font en notre nom et, dans une certaine mesure du moins, sous le contrôle de la multitude que nous formons (par le droit ou la violence, la multitude peut démettre ses représentants). Or, en tant que nous formons une multitude suffisamment cohérente pour agir efficacement, nous sommes puissants (potentia), car nous nous sentons exister ensemble, en avons conscience, et développons utilement des échanges de tous ordres ; ce qui nous réjouit ; et nous sommes susceptibles de trouver un intérêt dans le fait d’élire des représentants et avons dans ce cas le sentiment que le pouvoir (contrôlé) de ces derniers contribue à la puissance de tous et donc de chacun ; et que ce pouvoir est même une forme d’expression de la puissance de la multitude. On voit bien comment ces trois notions différentes peuvent parfois être combinées.

Dans l’analyse du pouvoir politique, en particulier étatique, une notion centrale est en tout cas celle de la souveraineté. Qu’est-ce que la « souveraineté » d’un État ? Un État est dit « souverain » en tant qu’État, dans la mesure où il ne dépend pas d’un autre État ; la souveraineté implique que ce qu’un État doit à un autre État, et réciproquement, ne peut résulter que d’une convention internationale liant ces deux États (c’est-à-dire un acte réciproque de volonté qui engage chacun des États), et éventuellement de l’infraction d’un État à l’égard de la clause d’une convention internationale ; infraction qui appelle alors sanction internationale pouvant être décidée par un tribunal de rang international.

On parle de « puissance souveraine » ou de « pouvoir souverain » de façon ambivalente, tantôt pour désigner la « souveraineté » ci-dessus définie, tantôt pour désigner la ou les personne(s) physique(s) entre les mains de laquelle (ou desquelles) se trouve la souveraineté. Autrement dit : celui, celle ou ceux qui a ou ont le pouvoir. On peut alors parler du « souverain » : ce terme désigne celui ou celle qui a le pouvoir (on vise le plus souvent le monarque dans le cadre d’un régime monarchique).

B Les grandes problématiques de la philosophie politique

1. Droit naturel et droit civil

Nous partirons (étape 3-A) de la figure mythologique d’Antigone, fille d’Œdipe, pour construire une opposition entre droit naturel et droit civil.

Dans la mythologie, les fils d’Œdipe et frères d’Antigone – Polynice et Étéocle – se partagent le pouvoir à Thèbes jusqu’à des hostilités qui conduiront les deux frères à s’entretuer. Créon prend alors le pouvoir à Thèbes et refuse à Polynice d’être enterré conformément aux rites en vigueur, car ce dernier est considéré comme un ennemi de la cité, tandis qu’Étéocle peut être enterré dignement. Antigone qui refuse cette décision du chef de la cité est condamnée à mort. Antigone avait à faire un choix : ou bien respecter la justice de Créon, roi de Thèbes, c’est-à-dire le droit de la cité ; ou bien suivre les notions de justice issues de la religion, inscrites dans la coutume et comprises comme ayant une signification morale. Du point de vue du droit, Créon est le législateur : il fait la loi. Mais du point de vue de l’idée de justice que se forge Antigone, la volonté de Créon ou la norme du droit de la cité ne compte pas, ou plutôt chacune d’elles doit se soumettre à cette idée plus générale de justice.

► Comment trancher entre ces deux conceptions de la justice ?

► Est-il acceptable de s’opposer à ce qui est légal* au nom de l’idée que l’on se fait de ce qui est légitime* ?

► Quelle est l’origine de cette justice relevant du droit civil (ou « positif ») ? Où puiser les principes de justice, sinon dans le droit civil lui-même ?

► La « justice » n’est-elle pas supérieure à ce que propose le droit civil ? Ainsi la justice n’est-elle pas universelle*, tandis que le droit civil serait particulier* à chaque société à une époque donnée ?

► A-t-on besoin de recourir au droit naturel pour rendre compte du droit civil, ou bien est-il entièrement compréhensible de façon autonome ?

► Qu’en est-il du côté du juge : a-t-il besoin d’autre chose que du droit civil, qu’il interprète, pour juger ? Par exemple de normes morales ?

2. La question du meilleur régime

Nous aborderons ensuite la question du meilleur régime (étape 3-B). Nous nous demanderons pour cela qui fait la loi de la cité, autrement dit ce que l’on appelle le droit civil (ou positif). La réponse à la question que l’on se pose varie en fonction du type de régime mis en place.

► Quels sont ces régimes ?

► Quel est le meilleur d’entre eux ? S’il s’agit du régime le plus raisonnablement désirable par les hommes, ce régime doit alors être considéré comme le bien commun à atteindre et à préserver.

► Est-il vraiment possible d’envisager un meilleur régime à réaliser, comme si :
1°/ il existait un tel « meilleur » régime,

2°/ ce régime était réalisable par un acte de volonté ?

► Si l’on considère que le régime le meilleur doit être obtenu par les hommes eux-mêmes – c’est-à-dire par leur volonté, leurs projets et leurs actes –, le fait d’avoir forgé un idéal ne risque-t-il pas de lui conférer un caractère utopique, trop éloigné de la réalité historique et humaine ? À moins que des hommes déterminés ne soient en mesure de concevoir les étapes concrètes permettant de réaliser cet idéal en tenant compte du réel, et de provoquer cette réalisation par une action adéquate, qui pourrait être une démarche révolutionnaire : mais un tel projet est-il viable ?

3. La démocratie

Une réponse à la question du meilleur régime serait qu’il existe bien un régime meilleur que les autres : la démocratie (étape 4).

► Que faut-il entendre plus précisément sous cette dénomination : « démocratie » ?

Une distinction importante que l’on pourra proposer, s’agissant de la démocratie, est que la démocratie peut être formelle ou réelle :

► La démocratie est-elle seulement un ensemble de lois, un ensemble d’institutions caractérisées par la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), un ensemble de droits fondamentaux conférés aux citoyens (droit de vote, liberté d’association, liberté de penser et de s’exprimer, etc.) ? Telle est la conception formelle de la démocratie.

► La démocratie ne doit-elle pas aussi porter en son sein une exigence d’égalité réelle des citoyens, exigence qui peut aller – selon l’image d’une course – de l’égalité sur la « ligne de départ » à l’égalité sur la « ligne d’arrivée » ? (Dans ce dernier cas, on vise généralement l’égalité économique et sociale.)

► Au point de vue de la démocratie réelle, que faut-il penser de la représentation ? (Il s’agit d’un dispositif par lequel les citoyens élisent des représentants qui ont ensuite à prendre les décisions qui s’imposent, en matière de législation et/ou en matière d’exécution des normes existantes.)

► La démocratie réelle n’implique-t-elle pas d’organiser un transfert de souveraineté vers la multitude des citoyens, vers le peuple ? Cette transformation doit-elle s’effectuer par un acte de violence historique de nature révolutionnaire ?


Modifié le: Wednesday 18 March 2020, 14:26