La morale Partie 1 S’interroger et problématiser : la morale nous empêche-t-elle de vivre ? (toutes séries)

Étape 1

Etape 1

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Préambule

La morale a mauvaise réputation. Elle se présente en effet comme un ensemble de règles et d’interdits, qui exigent de sacrifier l’intérêt personnel, ou bien de renoncer à la satisfaction immédiate des désirs. Rendre l’argent que l’on nous a confié, ne pas tricher à un contrôle, ou s’efforcer de dire à un ami une vérité qui pourrait le blesser, voilà autant d’exemples montrant la nécessité dans laquelle nous pouvons nous trouver d’avoir à choisir entre le plaisir et nos obligations.

C’est pourquoi l’étude de la morale fournit l’occasion d’élaborer trois notions distinctes, mais solidaires : la liberté, le devoir et le bonheur.

La morale possède une connotation assez négative, par son caractère répressif, voire punitif. On « fait la morale » à celui à qui l’on fait des reproches, et dont on considère qu’il a mal agi, autrement dit qu’il a commis une série de fautes. Pour interroger cette notion, on peut donc examiner les questions suivantes :

(A) Pourquoi la morale semble-t-elle d’abord s’opposer à notre nature ? (B) N’est-il pas cependant vital, aussi bien pour l’individu que pour la société, de se fixer des limites ? (C) La morale fait-elle obstacle à l’épanouissement personnel ou bien est-elle la quête de ce qui donne véritablement sens à l’existence ?

A La découverte du mal et la perte de l’innocence


Lucas Cranach l’Ancien, Adam et Eve au paradis ou Le Péché originel, 1533, Gemäldegalerie, Berlin.

Appuyez-vous sur l’extrait pour comprendre l’image, puis, en quelques lignes, répondez aux questions.

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« Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que Yahvé Dieu avait faits. Il dit à la femme : "Alors, Dieu a dit : vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?"

La femme répondit au serpent : "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort."

Le serpent répliqua à la femme : "Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal."

La Bible de Jérusalem, Genèse, 3,1-5. »

1. Que représente la scène ? À l’aide de quels éléments peut-on comprendre comment l’être humain devient
un être moral ?

Mémo - Aide mémoireLa scène peinte par Cranach représente le moment où, selon la Bible, Adam et Eve commirent une faute, généralement désignée comme le péché originel, en transgressant l’interdiction de manger du fruit défendu. Si toutefois on attribue l’apparition du mal à un vieil ancêtre supposé, alors nous n’en serions plus responsables et rien ne nous serait enseigné sur nous-mêmes. C’est pourquoi le philosophe Paul Ricœur par exemple refuse de parler de la « chute » pour évoquer cette scène : elle ne correspond pas à un moment historique, ni préhistorique, mais elle donne à penser la condition humaine de manière à la fois intemporelle et universelle.

Pour montrer comment l’homme devient capable de moralité, le peintre utilise un symbole : la pomme, qui fait l’objet d’une interdiction (malum signifiant en latin à la fois la pomme et le mal). Mais, si le serpent pousse les personnages à manger du fruit défendu, sont-ils réellement responsables de ce qu’ils font ? Un jeu étonnant de renvois à l’intérieur de la peinture permet de répondre à cette question : si le serpent se tient derrière la femme et lui fait rappeler l’interdit, celle-ci tend la pomme à l’homme, qui cherche le regard de sa compagne. Chaque personnage semble ainsi renvoyer à un autre, enfermant le mal dans une énigme. Or ne serait-ce pas l’interdit lui-même qui provoque la tentation de la désobéissance ? Lorsqu’un petit enfant fait sous les yeux de ses parents ce qu’ils viennent de lui interdire, on dit en effet qu’il « teste ses limites » : il n’aurait jamais eu l’idée de commettre une bêtise sans que, justement, on ne la lui suggère ! Ainsi, l’interdit révèle paradoxalement le pouvoir d’agir librement et, par conséquent, de commettre le mal. L’énigme du mal est donc celle que la liberté humaine est à elle-même : il n’y aurait pas de liberté possible sans la capacité de préférer le mal au bien.

2. Pourquoi le peintre fait-il figurer des animaux 
dans son tableau ? En quel sens la moralité permet-elle
de distinguer l’homme des autres créatures ?

Mémo - Aide mémoireSi le serpent incarne la tentation, les deux autres animaux représentent une nature harmonieuse : celle qui précède l’apparition de la méchanceté. Permettent-ils alors de mieux comprendre le changement qui apparaît avec la morale ? Si le lion peut faire du mal au cerf, en le tuant pour le dévorer, il reste néanmoins « innocent », au sens où il ne se rend pas compte de ce qu’il fait – et, éventuellement, du mal qu’il fait. N’ayant pas conscience de l’interdit, il ignore en effet la signification de ses actes et il n’est pas possible de le considérer comme coupable, ni de lui faire un procès. On ne dira donc pas d’un prédateur qu’il est « immoral », mais « amoral », c’est-à-dire dépourvu de moralité. De même, la chute d’une pierre ou une tempête peuvent causer de graves dégâts, voire faire des victimes, mais elles n’ont pas l’intention délibérée de nuire.

La moralité sépare donc l’être humain des animaux. Cette notion présente néanmoins deux sens qu’il faut soigneusement distinguer. D’une part, la moralité désigne la conformité à la morale. On dira d’un homme qu’il est de bonne moralité lorsqu’il accomplit les obligations qui sont les siennes. D’autre part, la moralité est encore la faculté de distinguer le bien du mal. En ce sens seulement, un animal ou un simple d’esprit sont dénués de moralité : quels que soient leurs actes, bons ou mauvais, ils n’ont aucune connaissance de ce qu’ils font. Seul un être libre, ayant le choix de se retenir d’agir, peut donc être considéré comme un agent moral.

(Reportez-vous ici à la séquence 1 sur La culture, étape 1-B/1, où un lien est introduit entre la culture et la morale)

3. À quelle sorte de connaissance l’interdit correspond-il dans le récit biblique ? Quelle conception de la morale est-elle alors suggérée ?

Mémo - Aide mémoireSi l’interdit porte initialement sur la pomme, il serait réducteur de considérer que ce fruit porte seul la réalité du mal. On ne trahira donc pas l’esprit du mythe en disant que tout autre symbole aurait pu convenir : ce qui importe, ce n’est pas l’aspect matériel* de l’interdiction, l’objet sur lequel elle porte, mais sa dimension formelle*, en tant qu’elle constitue une règle capable de s’opposer au désir. C’est en effet la forme de l’interdit, quel qu’en soit le contenu - très variable selon les cultures -, qui fait de l’être humain un animal différent des autres, car pouvant reconnaître le mal qu’il accomplit. Comme le dit le serpent : le jour où vous mangerez du fruit défendu, « vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal ». Ce savoir est ici symbolisé par la prise de conscience de la nudité, dissimulée par un rameau que le peintre fait tenir par le personnage d’Adam lui-même. La honte ne suit donc pas la faute, mais l’accompagne, voire la précède, pour rendre possible le sentiment de culpabilité.

► Texte 1

Avec l’apparition du mal, l’homme est chassé du paradis terrestre et subit le châtiment divin. La morale apparaît alors comme une cause de souffrance. Responsable de sa faute, l’homme devra en effet se racheter par son travail (« à la sueur de ton visage tu mangeras ton pain » lui dit le Dieu biblique). Le péché originel est parfois interprété au sens où il ferait de l’homme un être pervers ou corrompu. Il est possible de dire au contraire, avec le philosophe Kant, que l’homme n’est pas mauvais par nature (sinon il faudrait lui reconnaître une volonté diabolique), mais qu’il possède des « penchants » au mal. Car, une fois reconnus comme contraires à la loi, ses désirs sont autant d’occasion de renoncer au bien. La morale aurait alors pour tâche de corriger l’homme, afin de le « redresser ».

Résumons

La prise de conscience du mal correspond à la fin de l’innocence. Contrairement à l’animal, qui suit son instinct et ignore la moralité de ses actes, l’être humain peut faire preuve de méchanceté, car seul il accomplit le mal en connaissance de cause. Distinguant le licite de l’illicite (c’est-à-dire le permis du défendu), l’interdit provoque en effet la tentation de lui désobéir. Il révèle donc ensemble la liberté et le mal : on ne peut choisir le bien que si l’on se connaît également capable de faire le mal. La possibilité de commettre des fautes montre cependant que la volonté est faillible, capable de se tromper, et qu’elle doit être éduquée. Mais, s’il est toujours difficile de faire son devoir, la morale doit-elle nécessairement réprimer notre aspiration à vivre libre et heureux ?

► La morale apparaît avec la distinction entre le bien et le mal. Elle nous oblige à suivre des règles, qui s’opposent à nos envies et à nos aspirations. Mais faut-il nécessairement souffrir pour adopter une bonne conduite ? Le renoncement est-il en effet au principe* de la morale, qui nous demanderait d’être malheureux, ou n’en est-il qu’une conséquence* indirecte ?

B La morale comme « manière de vivre »

Pour savoir ce qui motive l’obéissance morale, tâchons donc de la définir plus précisément, à partir de son origine. D’où les convictions morales viennent-elles en effet ? En quoi seraient-elles nécessaires à la vie d’un individu ou d’une communauté ?

1. La morale, la religion et la société

En étudiant le tableau de Cranach nous pouvons avoir le sentiment que la morale est intimement liée à la religion. Or les religions sont aussi nombreuses que différentes, car chaque croyance présente des particularités qui la distinguent des autres. Se demander si une religion est plus morale qu’une autre n’aurait cependant aucun sens, puisque toute religion possède ses propres critères d’évaluation. Quels sont donc les rapports entre la morale et la religion ?

Pour approfondir cette question

Il est possible de lire la leçon proposée par Yannick Mazoué :
La religion peut-elle servir de morale ? qui interroge les relations entre les croyances religieuses, les mœurs et la liberté individuelle.

Toute religion se présente sous la forme de rites, d’interdictions et de pratiques, qui ont cours au sein d’une communauté. Or, comme l’a montré notamment l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, ce qui distingue les sociétés humaines des sociétés animales, c’est précisément la présence d’interdits ou de tabous, comme la prohibition de l’inceste (qui empêche un individu de se marier avec un parent proche). Les formes que ces interdits peuvent prendre sont fort diverses, mais toute société élabore ses convictions morales, afin de défendre ce qu’elle tient pour essentiel*. Plutôt que d’établir une vaine comparaison entre les cultures, il faut ainsi se demander pourquoi toute société a besoin d’une morale. Mais, pour ce faire, précisons mieux quelle est notre approche de la morale.

2. La spécificité de la philosophie morale

Mémo - Aide mémoireLa philosophie morale est une réflexion descriptive et non pas normative : réfléchir comme nous le faisons au sujet de la morale, ne revient pas à dire ce qui doit être concrètement considéré comme bien ou mal (chaque morale particulière* s’en charge), mais comprendre pourquoi les hommes se soumettent à des impératifs et à des interdits.

La morale apparaît en effet dans des sociétés humaines, qui donnent des règles aux individus qui les composent. Les règles morales inspirent encore le droit qui est en vigueur dans ces mêmes sociétés, c’est-à-dire les lois au sens juridique du terme, bien que l’on en dénonce parfois l’injustice au nom de la morale, comprise alors en un sens supérieur qu’il faudra élucider (voir sur ce point l’étape 2 de la séquence, D/1 et /3). On dira en ce sens d’un homme qu’il est de « bonne moralité » s’il se soucie de sa réputation, en accomplissant ses obligations. Le terme même de morale vient du pluriel latin mora qui, traduisant le grec ta éthica, signifie les mœurs, c’est-à-dire les habitudes, les caractéristiques ou les façons de vivre d’une communauté.

Mais pourquoi les individus se comportent-ils conformément à ce que la société exige d’eux ? Car, à qui la morale profite-t-elle : aux individus ou à la société ?

3. L’utilité de la morale sociale

► Texte 2

« Pourquoi obéissons-nous ? » demande le philosophe Henri Bergson dès la première page de son livre sur Les Deux sources de la morale et de la religion. Or, si l’on obéit à ses parents ou à ses maîtres, c’est en raison de la position qu’ils occupent. Le petit enfant a besoin d’être guidé, conseillé, et il se soumet volontiers à ceux qui ont la charge de l’éduquer. Le besoin de sécurité le conduit en effet à reconnaître l’autorité de ceux qui peuvent lui apporter aide et affection. C’est pourquoi la morale apparaît essentiellement au travers des relations sociales et, plus particulièrement, dans les rapports établis entre les générations.

Pour approfondir ce point

InternetPour approfondir ce point, suivre l’explication d’un texte de Bergson sur les notions de devoir et de société, disponible à la vidéothèque d’Europe Éducation École : http://www.projet-eee.ac-versailles.fr/videotheque/devoir-et-societe-didier-guimbail

La fonction de la morale est donc double. D’une part, elle assure la cohésion de la communauté et en permet la continuité dans le temps. D’autre part, elle préserve les individus des rapports de force qui pourraient les détruire. Les coutumes établissent en effet des règles de partage, permettant de répartir les biens de façon juste aux yeux des tous. On peut ajouter enfin que, donnant une limite au désir individuel, la règle sociale lui donne un cadre dans lequel il peut s’épanouir. Cela lui permet d’éviter la désorientation, ainsi que la démesure. La morale peut toutefois demander à certains individus de se sacrifier pour le bien de l’ensemble, comme un membre malade doit être amputé d’un organisme vivant.

Récapitulons

Déterminées par l’histoire d’une communauté humaine, les normes sont des conventions sociales qui n’existent pas dans la nature. Leur valeur se définit par l’utilité qui leur est reconnue. L’organisation de la vie en commun exige l’instauration de limites, qui prennent pour les individus la forme d’interdits. Ceux-ci sont transmis au cours de l’éducation. La société délègue ainsi son autorité aux adultes, qui ont pour tâche d’éduquer (ou de « dresser » en quelque sorte) les nouveaux venus.

► La morale se confond d’abord avec l’ensemble des obligations instaurées par la vie collective. Mais pourquoi alors devrions-nous suivre ces règles contraignantes ? N’aurions-nous pas tout intérêt à agir comme bon nous semble, sans nous soucier de ce qui fait violence à notre liberté ? Suivons les étapes faisant de la morale non plus une évidence, mais un problème pour chaque individu.

C La recherche de la « vie bonne » et l’exigence d’universalité

La plupart des devoirs naissent de la vie sociale et ne sont pas ressentis comme difficiles, car ils relèvent d’habitudes contractées dès le plus jeune âge. L’enfant, l’adulte qui exerce un métier, ou encore le père et la mère de famille, savent tous spontanément comment ils doivent se comporter, car ils imitent ce qu’ils ont pu observer chez les autres et qui se transmet de génération en génération. Comment la morale pourrait-elle alors être mise en doute ?

1. La relativité de la morale sociale

Si la morale se décline au pluriel, alors se pose la question de sa vérité. La prise de conscience de la relativité des habitudes auxquelles les hommes se soumettent conduit en effet à une remise en cause des morales particulières. Ce questionnement est apparu dès l’Antiquité. Les Grecs du Ve siècle avant notre ère étaient des voyageurs et ils accueillaient de nombreux étrangers dans leurs cités. Ils avaient donc pris conscience de la diversité des systèmes politiques et moraux ; et certains avaient mis en cause l’évidence de la morale, en prétendant l’enseigner en échange de fortes sommes d’argent. Les « sophistes » (du grec sophia signifiant sagesse) tiraient profit en effet des leçons qu’ils dispensaient à de jeunes gens riches. Comme Protagoras, ils prétendaient leur enseigner comment savoir bien mener leurs affaires, aussi bien privées que publiques. (Reportez-vous à la séquence 2 sur
La culture, étape 1-A/3)

Or, parce que plusieurs certitudes morales sont possibles, les sophistes pouvaient discuter du bien-fondé des règles communes et les mettre en doute. Pourquoi la manière de vivre des Athéniens serait-elle meilleure que celle des Spartiates, voire des Perses ou des Egyptiens ? Mais, si une certaine morale apparaît toujours comme relative* à une société donnée, peut-elle encore valoir de manière absolue* ? Le relativisme moral s’appuie ainsi sur la diversité des normes pour mettre en doute leur universalité.

2. Traditionalisme et individualisme : les symptômes
d’une morale en crise

Si la morale est d’abord comme l’air que l’on respire, elle peut néanmoins abandonner toute certitude. On ne cesse plus de débattre de valeurs qui, jusque-là, pouvaient aller de soi. Et, lorsqu’elle perd son évidence, la morale entre alors en crise. Dans Le Rouge et le Noir, Stendhal présente ainsi la France de la Restauration comme une société déchirée entre l’ambition individuelle et l’exigence de justice sociale. Julien Sorel, le personnage central du roman, incarne de façon privilégiée cette tension, car il est lui-même écartelé entre son désir d’ascension sociale et son profond rejet des inégalités. Dans une telle situation, deux attitudes semblent donc devoir s’opposer : le traditionalisme, qui voudrait rétablir l’autorité de la coutume, et l’individualisme, qui fait du profit personnel la seule norme valable. Examinons ces deux attitudes, à la fois contraires et symétriques.

Lorsque l’individu comprend le caractère arbitraire des règles communes, il peut essayer de les défendre coûte que coûte, et adopter une attitude « passéiste ». Il peut, au contraire, s’en éloigner et ne rechercher que son enrichissement personnel. Comme l’ont montré les époques de frénésie boursière, l’immoralisme peut même devenir à la mode ! Calliclès (un personnage très ambitieux du dialogue de Platon intitulé Gorgias) pouvait déjà affirmer que « le luxe, l’intempérance et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que bêtises et néant. » (Reportez-vous à la séquence 1 sur La culture, étape 3)

Mais le bonheur se trouve-t-il vraiment dans la nostalgie du passé ou dans les plaisirs rendus possibles par la richesse ? La recherche du bien conduit-elle toutefois au sacrifice de ce qui paraît bon, au sens où le devoir et le bonheur ne seraient pas forcément compatibles ? On voit ainsi que la question de savoir comment bien mener sa vie devient un véritable problème.

3. Y a-t-il des vérités morales universelles ?

Quand la morale n’est plus simplement vécue, elle devient un objet de réflexion et d’interrogation. Qu’est-ce qu’un acte juste ou une conduite authentiquement honorable ? Et, une vie heureuse, n’est-elle qu’une vie de plaisirs ? Car existe-t-il un bien universel, que tout être humain pourrait vouloir ?

Au contraire des sophistes, avec lesquels il pouvait être confondu, le philosophe Socrate ne se contentait pas de critiquer la tradition. Adoptant une démarche rationnelle, qui consiste à débattre et à argumenter, il recherchait en effet une vérité morale valable pour tout être humain. Car, si l’on refuse de suivre des règles imposées par la société, mais que l’on ne se satisfait pas d’une réussite seulement matérielle, on doit s’interroger, à l’aide de la raison, sur le genre de vie apportant une authentique satisfaction. Dans le Gorgias, Platon résume ainsi tout le problème de la morale : comment parvenir à se « faire une idée vraiment claire de la façon dont il faut vivre » (492d, traduction Chambry) ?

La démarche philosophique n’est donc pas seulement une étude descriptive des morales concrètes : elle consiste, pour chacun, à s’approprier un questionnement lui permettant de devenir un sujet libre et responsable. En devenant le véritable auteur de ses pensées et de ses décisions, l’être humain s’efforce en effet de définir Rce qui pourrait lui permettre de réussir son existence.

Pour approfondir cette réflexion

Émission radio 1

Écouter l’émission radiophonique du CNED où Monique Merly aborde l’obligation morale et le problème de son fondement.

InternetPour questionner davantage l’opposition entre la morale et les morales, vous pouvez suivre la visioconférence de Jean-Louis Poirier intitulée : À quoi sert la morale ? disponible à la vidéothèque d’Europe Éducation École : http://www.projet-eee.ac-versailles.fr/videothèque/quoi-sert-la-morale-jean-louis-poirier

En résumé

La réflexion sur l’origine des devoirs nous a conduits à reconnaître la relativité* des morales historiques et à nous interroger sur l’existence d’un bien absolu*. La morale semblait aller de soi, mais, une fois devenue objet de discussion, elle apparaît comme une énigme. C’est ainsi que l’héroïne de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette se trouve déchirée entre l’idéal d’honnêteté que représente son mariage et l’amour qu’elle éprouve pour le duc de Nemours. Partagé entre son devoir et le bonheur, entre sa loyauté à l’égard de la communauté qui l’a élevé et la quête d’une authentique satisfaction, l’individu se trouve dans l’embarras de savoir comment bien mener sa vie. Cela nous oblige à questionner plus avant le sens de la morale et à repenser l’articulation entre le devoir et le bonheur, à partir du sens que la liberté peut se donner à elle-même.


Modifié le: Wednesday 18 March 2020, 15:34