Le sujet Partie 3 S’exercer à réfléchir

Regarder la vidéo de présentation

Étape 2

chapitre 1

S’exercer à réfléchir (toutes séries)

Espace

Dans les exercices qui suivent, vous pouvez réutiliser les connaissances qui précédent. L’un des objectifs de cette deuxième étape est de vous faire vous exercer à vous approprier des connaissances et à les utiliser de façon sélective et pertinente.

A Travailler sur un texte philosophique : la méthode par des exercices

1. Identifier la thèse adverse

« De scandaleuses injustices et une misère insoutenable naissent, d’une simple faute de logique, souvent commise, qui consiste à confondre votre identité avec l’une ou l’autre parmi vos appartenances. Par la première, singulière, vous êtes vous-même et nul autre. Par les secondes, toujours collectives, vous faites partie des français ou des algériens, bruns ou chauves, mâles ou femmes, blancs ou noirs…

Que dit le raciste ? Il vous traite comme si votre identité s’épuisait en l’une de vos appartenances : pour lui, vous êtes noir, ou mâle, ou catholique, ou roux. Cela revient à réduire la personne à une catégorie ou l’individu à un collectif. Non, vous ne faites pas que partie de tel pays, de cette religion ou de votre sexe. [...]

Le racisme réduit le principe d’identité à la relation d’appartenance, liens pour lesquels la logique et les mathématiques écrivent deux signes différents. Pitié : n’usez pas du terme identité, quand il s’agit de culture, de langue ou de sexe, puisque, là, il signifie l’appartenance : cette faute devient vite crime. »

Michel Serres, « Qu’est-ce que l’identité ? », Le Monde de l’éducation, de la culture
et de la formation, janvier 1997.

espace

La difficulté de l’analyse d’un texte philosophique tient souvent à l’identification des thèses en présence. Très souvent, le texte ne présente pas seulement la thèse de l’auteur, mais aussi la thèse adverse, qu’il faut avant tout repérer pour comprendre comment l’auteur s’y rapporte.

Questions

1. Cherchez dans le texte les indices qui montrent que l’auteur énonce une idée qui n’est pas la sienne, à laquelle il s’oppose.

2. Reconstituez la thèse adverse.

3. Identifiez pourquoi l’auteur rejette cette thèse.

4. Clarifiez la distinction entre identité et appartenance.

Éléments de réponse

1. Le premier indice est l’abondance du vocabulaire péjoratif et négatif : « scandaleuses », « insoutenable », « faute logique », « crime ».

Le deuxième indice est la mention explicite de l’adversaire : « le raciste », à qui un certain discours, voire une doctrine, sont clairement attribués.

Le troisième indice est l’expression de l’opposition de l’auteur : « Non,... », qui manifeste bien son désaccord avec la thèse raciste.

2. La thèse raciste : consiste « à confondre votre identité avec l’une ou l’autre parmi vos appartenances » ;

- elle « revient à réduire la personne à une catégorie ou l’individu à un collectif » ;

- elle « réduit le principe d’identité à la relation d’appartenance » ;

3. - elle est confuse et réductrice ;

- elle ne rend pas compte d’une distinction conceptuelle, proposée par l’auteur, entre identité et appartenance.

4. L’identité désigne ici l’identité qualitative et psychologique, ce qui fait la singularité d’une personne. On le comprend en repérant les termes « singulière » et « personne ». A contrario, l’appartenance désigne un attribut collectif, général. Confondre les deux, c’est confondre l’individu et l’espèce ou le genre, ce qui est effectivement une « faute logique ».

2. Analyser comment l’auteur construit sa thèse à partir
de la critique de la thèse adverse

Gerhard Richter, Vue de ville F.

(C) BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Wolfgang Pankoke

© Gerhard Richter.

► Mettez-vous à distance de l’image. Que voyez-vous ? Est-ce une peinture, une photo, une maquette ? Et si vous vous rapprochez ? Le titre vous aide-t-il à mieux percevoir le sujet de l’oeuvre ?

« C’est toujours vieilli que l’œil aborde son activité, obsédé par son propre passé et par les insinuations anciennes et récentes de l’oreille, du nez, de la langue, des doigts, du cœur et du cerveau. Il ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et doté de sa propre énergie, mais comme un membre soumis d’un organisme complexe et capricieux. Besoins et préjugés ne gouvernent pas seulement sa manière de voir mais aussi le contenu de ce qu’il voit. Il choisit, rejette, organise, distingue, associe, classe, analyse, construit. Il saisit et fabrique plutôt qu’il ne reflète ; et les choses qu’il saisit et fabrique, il ne les voit pas nues comme autant d’éléments privés d’attributs, mais comme des objets, comme de la nourriture, comme des gens, comme des ennemis, comme des étoiles, comme des armes. Rien n’est vu tout simplement, à nu. Les mythes de l’œil innocent et du donné absolu sont de fieffés complices. Tous deux renforcent l’idée, d’où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer un matériau brut reçu par les sens, et qu’il est possible de découvrir ce matériau brut soit au moyen de rites de purification, soit par une réduction méthodique de l’interprétation. Mais recevoir et interpréter ne sont pas des opérations séparables ; elles sont entièrement solidaires. La maxime kantienne fait ici écho : l’œil innocent est aveugle et l’esprit vierge vide. De plus, on ne peut distinguer dans le produit fini ce qui a été reçu et ce qu’on a ajouté. On ne peut extraire le contenu en pelant les couches de commentaires. »

Nelson Goodman, Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles,
[1968] traduit de l’anglais par J. Morizot, Paris, Hachette, 2005.

Questions

1. Identifiez la thèse adverse.

2. Analysez la critique qu’en propose l’auteur.

3. Dégagez la thèse de l’auteur.

Éléments de réponse

1. Le texte s’oppose au « mythe de l’oeil innocent et du donné absolu », qui sont explicités par l’auteur : « Tous deux renforcent l’idée, d’où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer un matériau brut reçu par les sens, et qu’il est possible de découvrir ce matériau brut soit au moyen de rites de purification, soit par une réduction méthodique de l’interprétation. »

La thèse adverse considère donc que la perception est immédiate, qu’elle nous livre un monde brut, une matière vierge de toute intervention de l’esprit humain. Il y aurait d’abord la sensation, purement physique, qui nous donne accès au monde tel qu’il est réellement, puis, après seulement, l’interprétation forgée par l’esprit. La perception est alors réduite à la sensation pure.

2. L’abondance des négations, l’emploi d’adverbes comme « plutôt que » indique l’opposition de l’auteur à cette thèse. L’auteur propose deux arguments qui réfutent la thèse adverse :

- « l’oeil innocent est aveugle et l’esprit vierge vide ». Goodman veut dire que notre sensation n’est pas indépendante de notre esprit. Elle est déjà structurée par l’esprit qui lui donne forme. En effet, nous percevons le monde à travers des catégories que nous lui appliquons : la catégorie « objet », celle de « vivant », etc. Réciproquement, ces catégories ne sont pas purement théoriques, elles ne sont pas le produit d’un esprit abstrait, détaché de l’expérience du réel. Elles n’ont elles-mêmes de sens qu’appliquées à la réalité concrète. La perception est indissociablement sensation et jugement rationnel ;

- « on ne peut distinguer dans le produit fini ce qui a été reçu et ce qu’on a ajouté » : lorsque nous formons un jugement sur le réel, que nous en tirons une connaissance, il est impossible de séparer ce qui viendrait de l’objet perçu, qui serait passivement reçu par les sens, et ce qui viendrait de notre analyse, activement forgée par notre esprit. De plus, notre jugement est lui-même façonné par notre culture, notre éducation, nos préjugés. Il n’est jamais une analyse pure de l’objet, mais engage une certaine part de subjectivité.

3. Goodman, philosophe américain du XXe siècle, s’oppose à l’idée d’une perception naturelle, brute. Au contraire, nous fabriquons nos perceptions, nous faisons un tri dans les sensations et nous construisons des interprétations de ce que nous voyons. En fonction de quoi interprétons-nous le réel ? Quel rôle joue notre appartenance culturelle dans cette interprétation ? C’est l’enjeu de ce texte.

3. Analyser un paradoxe

« Nous partons d’un fait économique actuel. L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L’ouvrier devient une marchandise au prix d’autant plus bas qu’il crée plus de marchandises. La dévalorisation du monde humain va de pair avec la mise en valeur du monde matériel. Le travail ne produit pas seulement des marchandises ; il se produit lui-même ainsi que l’ouvrier comme une marchandise dans la mesure où il produit des marchandises en général. Ce fait n’exprime rien d’autre que ceci : l’objet que le travail produit, son produit, se dresse devant lui comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. (...). L’appropriation de l’objet se révèle à tel point être une aliénation que, plus l’ouvrier produit d’objets, moins il peut posséder et plus il tombe sous la domination de son propre produit, le capital. Toutes ces conséquences découlent du fait que, par définition, l’ouvrier se trouve devant le produit de son propre travail dans le même rapport qu’à l’égard d’un objet étranger. S’il en est ainsi, il est évident que plus l’ouvrier se dépense au travail, plus le monde étranger, objectif, qu’il crée en face de lui devient puissant, plus il s’appauvrit lui-même et plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. »

Karl Marx, Manuscrits de 1844, pp.108-109, trad. fr. J.P. Gougeon, Paris, GF-Flammarion, 1996.

Qu’est-ce qu’un paradoxe ?

Le paradoxe est un énoncé qui semble contenir une contradiction, ou qui contredit le sens commun, le raisonnement ordinaire.

« Qu’est-ce qu’un paradoxe, sinon une vérité opposée aux préjugés du vulgaire ? » Diderot, XVIIIe siècle.

Méthode pour dénouer un paradoxe

Pour comprendre le paradoxe, il faut d’abord repérer les apparentes oppositions qui le composent, les termes de la contradiction, puis comprendre les préjugés ou opinions communes auxquels il s’oppose et, enfin la vérité qu’il exprime.

Repérer les termes de la contradiction

Dans le texte, l’indice grammatical des contradictions est la locution « d’autant plus ».

– devenir plus pauvre ≠ produire plus de richesse ;

– abaissement du prix (de l’ouvrier devenu lui-même marchandise) ≠ hausse de la production de marchandises ;

– dévalorisation de l’homme ≠ valorisation des biens matériels ;

– l’objet dépend du travail du producteur ≠ l’objet est indépendant du producteur ;

– appropriation de l’objet ≠ aliénation de l’objet ;

– produire plus ≠ posséder moins ;

– être l’auteur d’un produit ≠ être dominé par le produit ;

– le produit de son propre travail ≠ un objet étranger ;

– travailler plus ≠ s’appauvrir ;

– « monde étranger, objectif » ≠ « monde intérieur ».

Comprendre les préjugés dénoncés par le texte

– le travailleur s’enrichit en travaillant plus. Plus on produit, plus on gagne d’argent ;

– le travailleur augmente sa valeur en produisant plus de richesse. Son salaire va augmenter s’il produit plus ;

– l’augmentation du confort matériel, de la consommation, permet l’épanouissement de l’être humain. Il vit de façon plus digne ;

– le producteur crée un objet. L’objet dépend donc de lui et on reconnaît la valeur ajoutée au produit par son travail ;

– plus l’homme travaille, plus il peut accéder à la propriété et posséder d’objets. Car il récolte d’abord les fruits de son travail, son salaire qui lui appartient et lui permet de s’approprier toute sorte de biens. Ce salaire est à la mesure de son effort et de la qualité de son travail ;

– plus on produit/travaille, plus on peut posséder de choses ;

– quand on travaille, on récolte les fruits de l’objet produit : les bénéfices de l’objet fabriqué et vendu. On est maître d’exploiter le produit de son travail ;

– le travailleur est maître des fruits de son travail ;

– plus on travaille, plus on s’enrichit (travailler plus pour gagner plus) ;

Le travailleur contrôle sa production, exploite les objets qu’il fabrique.

Comprendre les énoncés exprimés

– L’accroissement de la production entraîne l’appauvrissement du travailleur. Pourquoi ? Parce que le salaire n’augmente pas en fonction de la production ; c’est le capital qui s’enrichit grâce au bénéfice, pas le travailleur.

– L’économie productiviste transforme le travailleur lui-même en marchandise. On parle bien d’un « marché du travail ». Le prix de cette marchandise baisse lorsque la production augmente, car il dépend du rapport entre l’offre et la demande, et non de la productivité.

– L’économie capitaliste nous rend matérialistes, car la productivité des industries nous donne accès à une consommation de masse, au confort matériel. Nous pensons de plus en plus à consommer au lieu d’entretenir notre vie intellectuelle, morale, affective, etc.. C’est une vie appauvrissante, qui nous déshumanise en nous éloignant de la culture au profit de la jouissance matérielle, quasi-animale (manger, consommer, se divertir)

– Le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur : le salaire ne tient pas suffisamment compte de la valeur que le travail ajoute au produit ou à la productivité, et qui permet de vendre à un certain prix pour faire des bénéfices. Le produit est séparé du travailleur, rendu étranger au producteur, « aliéné », de sorte que le travailleur ne jouit pas des fruits de son travail. Les bénéfices iront pour une large part au propriétaire du capital, au patronat.

– Le travailleur qui produit plus ne voit pas son salaire proportionnellement augmenté. Il ne s’enrichit pas et ne peut pas accéder à la propriété.

– Plus le travailleur produit, plus le propriétaire capitaliste s’enrichit et plus le travailleur lui-même s’appauvrit. L’inégalité entre les revenus des salariés et des patrons ne cesse de croître. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres, de plus en plus pauvres.

– Le travailleur n’est qu’un maillon de la chaîne de production ; il ne possède pas les moyens de production ni le produit de son travail. Il n’exploite pas le produit ; c’est lui qui est exploité par le patronat. Au final, il produit du capital puisqu’il contribue à l’enrichissement du propriétaire du capital.

– Le travailleur est dominé par le capital, il n’est pas maître de son travail. Cet asservissement déshumanise l’ouvrier et transforme le monde du travail en monde hostile, étranger au travailleur, où il ne peut s’épanouir ni réaliser ses aspirations ou ses talents personnels.

Conclusion

Réduire un être humain, un sujet rationnel, à un objet, c’est lui faire subir une objectivation. On refuse au sujet ses propriétés essentielles, qui le caractérisent comme sujet humain, et, en faisant cela, on le traite comme un objet.

Cela suppose une aliénation de l’individu, qui est rendu étranger à son essence humaine, étranger aux propriétés essentielles dont on l’a privé. Cette aliénation est une déshumanisation. Le sujet n’est plus lui-même, il devient autre, un être privé de liberté, de volonté et de la faculté de consentir.

4. Comprendre la structure de l’argumentation

« Dès lors si la conscience ne peut faire sa propre exégèse1 et ne peut restaurer son propre empire, il est légitime de penser qu’un autre puisse l’expliquer à elle-même et l’aider à se reconquérir ; c’est le principe de la cure psychanalytique. Là où l’effort ne fait qu’exalter l’impulsion morbide, un patient désenveloppement des thèmes morbides par l’analyste doit faire la relève de l’effort stérile. La maladie n’est point la faute, la cure n’est point la morale. Le sens profond de la cure n’est pas une explication de la conscience par l’inconscient, mais un triomphe de la conscience sur ses propres interdits par le détour d’une autre conscience déchiffreuse. L’analyste est l’accoucheur de la liberté, en aidant le malade à former la pensée qui convient à son mal ; il dénoue sa conscience et lui rend sa fluidité ; la psychanalyse est une guérison par l’esprit ; le véritable analyste n’est pas le despote de la conscience malade, mais le serviteur d’une liberté à restaurer. (...) L’éthique en effet n’est jamais qu’une réconciliation du moi avec son propre corps et avec toutes les puissances involontaires ; quand l’irruption des forces interdites marque le triomphe d’un involontaire absolu, la psychanalyse replace le malade dans des conditions normales où il peut à nouveau tenter avec sa libre volonté une telle réconciliation. »

Paul Ricoeur, Philosophie de la volonté,
tome 1 : « Le Volontaire et l’involontaire », 1950 , Éd. Aubier, pp.375-376.

1. Exégèse : analyse critique

espace

Dans ce texte, Ricoeur s’interroge sur l’intervention du psychanalyste dans le rapport à soi. Quel est le rôle du psychanalyste ? En quoi consiste une thérapie ? Comment peut-on ainsi se libérer des désirs et des représentations inconscientes ?

Questions

1. Commentez le vocabulaire utilisé par Ricoeur pour désigner le rapport à soi : « empire », « reconquérir », « relève », « triomphe », « despote », « serviteur d’une liberté à restaurer »

2. Quel est le principe de la cure psychanalytique ? Qu’est-ce qui lui donne sa légitimité et la justifie ?

3. Expliquez la phrase : « La maladie n’est point la faute, la cure n’est point la morale ».

4. Comment Ricoeur déduit-il du premier paragraphe sa définition de l’éthique comme « réconciliation du moi avec son propre corps et avec toutes les puissances involontaires » ?

Éléments de réponse

2. Dans ce texte, l’argumentation de l’auteur part d’un constat : il arrive que les conditions d’un rapport à soi sain et harmonieux ne soient pas réunies. Il arrive que le sujet ne soit pas maître de lui-même, et c’est dans ce type de situation que l’intervention d’autrui, l’analyste, semble justifiée. Nous pouvons avoir besoin d’aide pour remettre de l’ordre dans notre vie mentale, pour clarifier nos pensées et nos désirs.

3. L’argument de Ricoeur explique que lorsque nous sommes malades, notre propre effort pour guérir peut être stérile : cet effort renforce le trouble au lieu de l’atténuer, parce que le sujet est en situation d’aliénation, étant en partie étranger à lui-même. L’auteur met ainsi l’accent sur le fait que le malade n’est pas responsable de sa maladie et critique la confusion entre le registre médical et le registre moral. Le malade n’est pas coupable de son mal-être, qui est involontaire. Ricoeur interroge ainsi la part du volontaire et de l’involontaire dans les psychopathologies. De même, le thérapeuthe n’est pas un moralisateur qui donnerait des leçons de morale au patient et lui dirait ce qu’il doit faire. Il n’est pas non plus une figure d’autorité destinée à poser un diagnostic et à expliquer au malade les ressorts de sa vie mentale.

4. Le propos de Ricoeur est donc négatif : une bonne partie du texte nous met en garde contre de mauvaises interprétations de la psychanalyse et de son rôle : voilà ce que n’est pas la psychanalyse. Mais alors en quoi consiste-t-elle ? L’explication de Ricoeur se présente par contraste avec les malentendus sur la psychanalyse. Le psychanalyste aide le malade à se comprendre : il « dénoue » sa conscience à travers son écoute neutre et bienveillante ; il est un médiateur dans la reconquête de la liberté et de la maîtrise de soi, dans la réconciliation des différentes instances du sujet.

B Travailler sur la dissertation

1. Dégager les présupposés d’un sujet : Suis-je le mieux placé pour me connaître ?

Photogramme Dr Jekyll & Mr Hyde, film de Victor Fleming (1941)

Un présupposé est une idée ou une thèse qui est impliquée dans la formulation même du sujet. Que faut-il avoir déjà admis pour poser la question du sujet ?

Présupposé 1 : Je peux me connaître.

Présupposé 2 : Je suis bien placé pour me connaître. Sinon, la question de savoir si je suis le mieux placé, ne se poserait pas. Le mieux est un superlatif de bien.

Présupposé 3 : par rapport à qui pourrais-je être le mieux placé ? L’énoncé du sujet est tronqué, il en manque un élément, qui est sous-entendu et qu’il faut restituer : suis-je mieux placé que les autres pour me connaître ?

espace

Repérer les présupposés d’un sujet permet de comprendre la question posée dans sa globalité, de la reconstituer de façon plus précise et complète. A partir de ces trois présupposés, nous savons que nous allons aborder :

1. Le problème de la possibilité de la connaissance de soi : est-ce vraiment possible de se connaître ? Y a-t-il place pour une connaissance de soi en première personne ? Puis-je être à la fois sujet et objet de connaissance ?

2. La question du privilège du sujet, de l’accès à soi-même par introspection : est-ce que l’introspection me permet d’être en meilleure position de me connaître ? Est-ce qu’elle permet une connaissance de soi immédiate et infaillible ?

3. La question de la connaissance de soi en troisième personne, par autrui : autrui n’est-il pas aussi bien placé, voire mieux, que moi, lui qui m’observe du dehors, de manière plus objective ?

2. Repérer un paradoxe dans l’énoncé du sujet

► Peut-on se mentir à soi-même ?

Repérer un paradoxe (étape 2-A/3) dans le sujet – quand il y en a un –, nous aide à problématiser une question. En effet, nous pouvons mettre au jour des éléments d’opposition qu’il faudra ensuite étudier pour tenter de résoudre la contradiction apparente. Le paradoxe peut être une contradiction logique ou bien une idée qui s’oppose à l’opinion commune.

Dans ce sujet, le paradoxe est flagrant et il permet d’énoncer la difficulté du sujet. En effet, le verbe « mentir » n’est pas un verbe réfléchi. Dans le langage usuel, on ment à quelqu’un, aux autres. Cela signifie que l’on connaît la vérité et qu’on la dissimule à autrui. Mais si je me mens à moi-même, cela signifie que je cache la vérité que je connais… à moi-même, qui la connais ! Comment peut-on en même temps savoir et ignorer la vérité ? Il y a là une contradiction.

Si je m’en tiens à la conception classique du sujet comme unité consciente, l’idée de se mentir à soi-même n’a pas de sens. Pour qu’un tel phénomène soit possible, il faudrait qu’il y ait en moi-même deux personnes, moi et un autre à qui je peux mentir. Cela nous conduirait à faire l’hypothèse d’un sujet divisé en plusieurs personnes qui pourraient être en conflit (Freud). Le sujet nous amène à donc à étudier la structure du sujet et la question de savoir s’il est un ou divisé.

3. Argumenter une thèse

► Thèse : Nous pouvons maîtriser le temps

Un des aspects de la dissertation est de savoir soutenir ou réfuter des thèses au moyen d’arguments. Un argument est une raison de soutenir une thèse. Pour proposer une réponse finale à la question posée, il faut examiner les différents aspects problématiques du sujet et confronter les différentes manières d’y répondre. Chaque partie va donc discuter une thèse qui est elle-même problématique et mérite d’être examinée. Pour ne pas disqualifier d’emblée la thèse d’une partie, encore faut-il lui donner du crédit, la prendre au sérieux en cherchant comment la justifier.

Pour trouver des arguments en faveur de l’idée que nous pouvons maîtriser le temps, il faut d’abord s’interroger sur le sens même de cette thèse : que peut vouloir dire « maîtriser le temps » ?

En un premier sens, ce serait tirer profit du temps, le faire fructifier, par opposition à l’expression « perdre son temps ». C’est ce que l’on fait en réglementant et en ordonnant le temps de travail dans le système économique de production des richesses. Le temps est mesuré, segmenté, contrôlé. L’ouvrier pointe en entrant et en sortant de l’usine ; le temps de travail est soumis à une cadence imposée. Mais dans ce cas, qui décide vraiment de mon emploi du temps ? En dehors du temps « libre », ne suis-je pas esclave d’un temps contrôlé par les employeurs et les machines ?

En un deuxième sens, bien différent, « maîtriser le temps », ce serait en jouir. Cette idée nous ramène à la thèse défendue par le philosophe grec Épicure dans l’Antiquité. Il critique ceux qui vivent dans la nostalgie du passé ou la crainte du futur. Il faut vivre avec son temps, c’est-à-dire au présent et rechercher le plaisir en chaque instant.

En un troisième sens, il s’agirait de s’approprier le temps. On peut s’approprier le temps passé par le souvenir, le temps présent par l’action, et le temps futur par l’imagination, l’utopie ou les projets.

Enfin, la maîtrise du temps serait simplement sa mesure, la possibilité de le quantifier, de le connaître en physique.

Tous ces arguments méritent d’être développés, approfondis à l’aide d’analyses d’exemples, mais aussi discutés pour rendre compte de leur portée et de leurs limites.

C Engager l’analyse d’exemples et savoir les insérer dans un questionnement ou un raisonnement

1. Réfléchir à partir d’une image

Duck-Rabbit optical illusion by American psychologist Joseph Jastrow (1899).

► Que voyez-vous ? Que représente l’image ?

« Lorsqu’on voit quelque chose, il peut non seulement y avoir différentes façons de dire ce qu’on voit, mais la chose peut aussi être vue de différentes façons, être vue diversement. (…) Les cas les plus flagrants sont, sans aucun doute, les cas dans lesquels (comme dans l’exemple du canard-lapin de Wittgenstein), une image ou un diagramme est conçu de manière spéciale, de sorte qu’il peut être vu de différentes manières – comme un canard ou comme un lapin, comme une figure convexe ou comme une figure concave ou quoi que ce soit. Mais ce phénomène se produit aussi naturellement, pourrait-on dire. Un soldat verra autrement les évolutions compliquées des hommes en armes dans la cour réservée à la parade que quelqu’un qui ne connaît rien au sujet du drill ; un peintre, ou à tout le moins un peintre d’un certain type, peut fort bien voir une scène autrement que quelqu’un qui ignore tout des techniques de la représentation picturale. Ainsi, les différences dans la manière de décrire ce qui est vu proviennent-elles très souvent, non pas simplement de différences dans notre savoir, dans la finesse de nos facultés discriminantes, dans notre propension à nous exposer, ou dans notre intérêt pour tel ou tel aspect de la situation totale ; elles peuvent aussi provenir du fait que ce qui est vu est vu différemment, vu comme ceci plutôt que comme cela. Et parfois il n’y aura pas qu’une seule manière correcte de décrire ce qu’on voit, pour la bonne raison qu’il n’existera pas de manière correcte de le voir. »

J.L. Austin, Le langage de la perception, Chapitre IX, (1962),
traduit de l’anglais par P. Gochet, Paris, Vrin, 2007.

espace

► En vous aidant du texte d’Austin, analysez l’image :

– Quelle figure reconnaissez-vous en premier ? Que se passe-t-il ensuite ?

– Expliquez la différence entre « différentes façons de dire ce qu’on voit » et « voir de différentes manières ».

– Est-ce le jugement qui vous fait identifier un canard sur l’image ? Est-ce votre culture ?

– Y a-t-il une bonne manière de voir et de décrire l’image ? Peut-on se tromper si on voit un lapin plutôt qu’un canard ?

– A quoi sert cet exemple ? Que montre-t-il ?

Éléments de réponse

La réponse varie en fonction des individus. Pour ma part, je vois en premier lieu un canard. Puis, je m’attarde sur l’oeil et je décèle aussi le lapin ! Je vois donc la même figure tout d’abord comme un lapin, puis comme un canard. Elle change d’aspect et pourtant, c’est la même image, que je perçois différemment.

Le langage me permet de donner plusieurs descriptions de la même image. Mais est-ce qu’il n’y a là que des façons de parler ? Lorsque je décris la figure comme un canard, c’est parce que je vois vraiment un canard. Et ensuite, je ne me contente pas de changer de mots : je vois vraiment un lapin. Ma propre perception se modifie : l’image change d’aspect, autre chose m’apparaît.

Il n’y a pas une seule manière de voir l’image et on ne se trompe pas quand on voit un lapin plutôt qu’un canard. On peut faire tour à tour les deux expériences perceptives. Voir un lapin n’est pas une erreur de la perception, une illusion optique.

L’exemple montre que la perception ne dépend pas seulement de la culture du sujet perceptif, ni de son jugement, qui le conduit à décrire l’objet comme canard ou lapin. La perception peut varier au niveau sensoriel lui-même. Il ne s’agit pas de juger l’image comme ceci ou cela, mais bien de la voir comme un lapin ou un canard.

2. Comprendre la fonction d’un exemple

Red cube de Isamu Noguchi, à New York.

► Décrivez précisément ce que voyez. Votre expérience correspond-elle à ce qu’analyse Alain dans le texte ci-dessous ?

espace

« On soutient communément que c’est le toucher qui nous instruit, et par constatation pure et simple, sans aucune interprétation. Mais il n’en est rien. Je ne touche pas ce dé cubique. Non. Je touche successivement des arêtes, des pointes, des plans durs et lisses, et réunissant toutes ces apparences en un seul objet, je juge que cet objet est cubique. [...] Je ne le vois jamais en même temps de partout, et jamais les faces visibles ne sont colorées de même en même temps, pas plus du reste que je ne les vois égales en même temps. Mais pourtant c’est un cube que je vois, à faces égales, et toutes sont également blanches. Et je vois cette chose même que je touche. [...] Je reconnais six taches noires sur une des faces. On ne fera pas difficulté d’admettre que c’est là une opération d’entendement, dont les sens fournissent seulement la matière. Il est clair que, parcourant ces taches noires, et retenant l’ordre et la place de chacune, je forme enfin, et non sans peine au commencement, l’idée qu’elles sont six, c’est-à-dire deux fois trois, qui font cinq et un. Apercevez-vous la ressemblance entre cette action de compter et cette autre opération par laquelle je reconnais que des apparences successives, pour la main et pour l’oeil, me font connaître un cube ? Par où il apparaîtrait que la perception est déjà une fonction d’entendement. »

Alain, Eléments de philosophie, livre I, « De la connaissance par les sens »
I, éd. Gallimard,1941.

Questions

1. De quel exemple s’agit-il dans le texte ? De quoi est-il l’exemple ?

2. Analyser la formulation de cet exemple : comment est-il développé ? Est-il l’illustration d’un argument qui le précède ? Ou vient-il avant l’argument ? Comment s’insère-t-il dans la stratégie argumentative du texte ?

3. À quoi sert cet exemple ? Qu’apporte-t-il à la réflexion ?

Éléments de réponse

Le texte porte sur l’exemple d’un dé cubique. Plus précisément, il nous décrit l’expérience perceptive d’un objet en particulier : le dé. Il s’agit d’une expérience concrète et ordinaire que chacun peut faire en observant un objet aussi banal que le dé. Un exemple doit prendre le temps de décrire précisément une expérience.

Le texte commence par énoncer la thèse adverse : notre connaissance vient de la perception qui est pure sensation. Le rôle de l’exemple va permettre de réfuter cette thèse qui n’est autre que l’opinion commune. Quoi de plus efficace que l’exemple d’une expérience que tout le monde peut faire pour surmonter un préjugé ?

Pour développer l’exemple, Alain part de la sensation pure : que voyons-nous exactement ? Il s’oppose à l’idée, pourtant évidente, que nous percevons un dé. Ce que nous percevons précisément, par le toucher notamment, ce sont des arrêtes, des plans, etc. La sensation ne nous livre pas le dé, mais une multitude d’apparences et d’aperçus sentis : surfaces lisses, pointes, etc.. Il faut faire la synthèse de toutes ces informations sensorielles, tactiles et visuelles, pour parvenir à l’idée de l’objet. Tous ces éléments me permettent de reconnaître un objet dont j’ai déjà le concept, que je connais déjà : un dé. Si je ne savais pas ce qu’est un dé, je ne pourrais pas percevoir un dé. Percevoir, c’est donc reconnaître l’objet senti : cela implique aussi bien la sensation que le jugement. La perception est donc une opération intellectuelle, un acte de l’esprit.

L’exemple, parce qu’il renvoie à une expérience ordinaire et universelle, a une portée générale. Il a une fonction pédagogique : nous aider à comprendre la réflexion à partir d’un cas particulier simple. Il a aussi une fonction démonstrative : c’est de son analyse qu’Alain tire sa thèse. Il a enfin une valeur critique : celle de permettre de réfuter l’opinion commune.

3. Comprendre une expérience de pensée

Watson veut développer une psychologie scientifique semblable aux sciences naturelles, également fondées sur l’observation : le behaviorisme. Puisque l’esprit, le mental, sont inobservables, le psychologue va étudier ce qu’il peut observer : les comportements. La connaissance de soi et des maladies non organiques repose alors sur l’étude du comportement.

« Tant qu’il existera des termes aussi faux que celui de « mental », je pense qu’il y aura des maladies mentales, des symptômes mentaux et des cures mentales. (…) J’aimerais utiliser, au lieu de troubles mentaux, maladies mentales, etc, des termes comme troubles de la personnalité, maladies du comportement, troubles du comportement, conflits entre les habitudes. (…)

Pour vous montrer que la « conception de l’esprit » est inutile dans les prétendues maladies mentales, je vais faire une description fantaisiste d’un chien psychopathologique (‘j’utilise le chien parce que je ne suis pas médecin et que je n’ai pas le droit d’utiliser l’homme. J’espère que les vétérinaires me pardonneront. Supposons que, sans en parler à personne, j’entraîne un chien de façon à ce qu’il fuie la bonne viande fraîche et ne veuille manger que du poisson pourri (il existe des exemples réels de cette sorte). (…) Il dort dans la cendre, il souille sa litière, il urine n’importe où toutes les demi-heures. (…) Je l’emmène chez un psychopathologiste pour chiens. Ses réflexes physiologiques sont normaux. On ne trouve pas de lésions organiques. Le chien d’après le spécialiste est malade mentalement, complètement fou. (…)

Tout ce qu’un chien doit faire – comparé aux autres chiens de sa race – il ne le fait pas, et il fait tout ce qui est étranger aux chiens. Le psychopathologiste conclut qu’il faut l’enfermer dans une institution pour chiens fous, sinon il va sauter du dixième étage ou se précipiter dans le feu. (….)

Je mets alors le psychopathologiste dans la confidence. Il s’insurge : "Puisque vous l’avez élevé ainsi, guérissez-le vous-même !". (...) S’il est jeune et apprend facilement, j’entreprends sa rééducation selon les méthodes behavioristes. Je le déconditionne et le reconditionne à nouveau. (…)

Au prochain concours de chiens, je pourrai l’exhiber fièrement, et son comportement sera tellement conforme à son pelage, à son corps parfait, que nous repartirons avec le premier prix. »

John Watson, Le behaviorisme, trad. fr. Simone Desflandres,
Centre d’Etude et de Promotion de la Lecture, 1972.

Questions

1. Analysez la formulation de l’exemple du chien psychopathologique : qu’indique l’expression « Supposons que » ?

2. Expliquez le rôle des concepts de comportement, d’éducation et d’habitude dans l’exemple.

3. Que montre l’exemple de la distinction mental/comportement ?

4. Pourquoi utiliser une expérience de pensée et non un exemple réel ?

espace

Éléments de réponse

1. « Supposons que » indique la mobilisation de l’imagination. Au lieu de décrire un exemple réel, nous allons imaginer le cas de ce chien. Nous sommes dans le domaine hypothétique, libéré des contraintes de l’expérience réelle.

2. Le contenu de l’expérience de pensée relate la manière dont un chien est éduqué de façon étrange, au point de devenir « fou ». Le psychologue s’imagine forger des habitudes chez l’animal, comme l’habitude de manger du poisson pourri. Il utilise le dressage pour façonner le comportement de son chien : comportement de peur, de fuite, d’agression, etc.

3. L’expérience de pensée vise à montrer le rôle de l’éducation, du conditionnement de nos habitudes, dans nos comportements. Elle montre que nous n’avons pas besoin de postuler l’existence du mental et de recourir à une explication par le mental pour comprendre les maladies et les guérisons. Le vocabulaire du comportement est suffisant. Pourquoi s’embarrasser alors de notions métaphysiques qui renvoient à des objets inobservables ? Le chien de l’expérience n’est pas « fou », il n’a pas de « trouble mental » : il est mal élevé, conditionné de façon étrange et inhabituelle. Son comportement est anormal, par rapport à la norme des chiens. C’est une question de dressage et non d’intériorité mentale.

4. L’expérience de pensée a plusieurs avantages par rapport à un exemple réel :

– D’abord, du point de vue éthique, Watson n’aurait pas pu conditionner un chien comme dans l’expérience de pensée. Cette dernière évite de faire souffrir un animal réel.

– Ensuite, elle permet d’aller au bout du raisonnement, sans limites ni contraintes matérielles. Elle explore une possibilité sans voir besoin de la réaliser dans le monde concret.

– Enfin, l’exemple ne suffit pas à discréditer une thèse, car il peut toujours y avoir un contre-exemple. L’expérience de pensée a une portée théorique plus générale et vise ici à réfuter la psychologie « mentaliste » qui se fonde sur l’introspection, comme celle de Descartes. Elle permet à Watson de soutenir sa thèse : la connaissance de soi passe par l’étude objective du comportement. Autrui est mieux placé pour me connaître. La connaissance psychologique est semblable aux sciences naturelles expérimentales, dont la méthode est l’observation extérieure.


Modifié le: Wednesday 18 March 2020, 15:59