Devoir et liberté

La question : « Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? »

La problématique du sujet

• Le devoir moral ou politique est souvent vécu comme une contrainte : obligé d’aller voter, obligé de tenir sa promesse. Or la liberté est conçue comme le fait de pouvoir faire ce que l’on veut, donc d’échapper à toute contrainte.

• Reconnaître ses devoirs serait donc contraire à ma liberté. Peut-on cependant dégager une conception de la liberté qui soit compatible avec le sens du devoir, qui fonde toute morale ?

Plan détaillé

1. Reconnaître ses devoirs est une obligation

A. LE DEVOIR MORAL S’IMPOSE

• Le devoir moral dit : « Tu dois », ou « tu ne dois pas ». Il prend la forme du commandement, dans la Bible, ou de l’« impératif », chez Kant.

• Le devoir comme « impératif catégorique » ne se discute pas ; il est inconditionné et désintéressé. Il s’impose à ma volonté comme obligation non négociable. Kant soutient même qu’il ne peut y avoir de conflit des devoirs, donc que je n’ai même pas le choix entre plusieurs devoirs.

B. LA MISE EN QUESTION DU LIBRE ARBITRE

• La liberté se présente souvent comme liberté de choisir, ce qu’on appelle « libre arbitre ». Or, s’il est vrai que je suis libre de choisir de faire ou de ne pas faire mon devoir, je ne choisis pas le devoir lui-même qui, on l’a vu, s’impose à moi par la voix de Dieu, de la conscience, ou de la raison.

• De ce fait, le libre arbitre peut bien exister avant l’acte moral, liberté de le faire ou pas. Mais dans le contenu du devoir et dans sa réalisation même, le libre arbitre est aboli : je ne choisis pas mon devoir, ni ne choisis de ne pas le faire pendant que je le fais conformément à l’évidence du devoir.

2. Pourtant le devoir est signe de liberté

A. LA LIBERTÉ, POSTULAT DE L’ACTE MORAL

• Le devoir n’est moral que s’il est l’œuvre d’une volonté libre. La machine ou l’animal ne sont pas capables de devoir moral, car ils sont déterminés par l’instinct ou le mécanisme.

• Dans un monde entièrement déterminé, comme celui de la science, il n’y a pas de place pour le hasard, le choix et la liberté ; donc pas de place pour le devoir et la morale. C’est pourquoi, dans La Critique de la raison pratique, Kant dit la nécessité de « postuler » le libre arbitre pour fonder la moralité de l’acte moral ; sans quoi il n’y a que pur mécanisme.

B. LA LIBERTÉ COMME FIN DU DEVOIR

• Si, à première vue, reconnaître son devoir semblait s’opposer à ma liberté, il s’avère que le devoir est la preuve de ma liberté, puisqu’il me laisse le choix d’un acte volontaire dont je suis responsable, et m’érige ainsi en sujet moral.

• De plus, être capable de reconnaître mes devoirs, me fait connaître ma finalité morale, à savoir l’autonomie. Reconnaître ses devoirs, c’est se connaître comme doué d’une volonté libre capable d’obéir spontanément ou de désobéir à l’impératif de la raison, capable de faire le bien ou le mal.

3. vers une liberté supérieure

A. SUBIR SES DEVOIRS EST HÉTÉRONOMIE

• Une morale hétéronome conçoit le devoir comme imposé de l’extérieur, par la contrainte de la société ou de l’éducation, comme le soutient Durkheim.

• Dans ce cas, on ne reconnaît pas ses devoirs, mais on les subit, de gré ou de force. De tels devoirs de convention, relatifs et changeants, paraissent à juste titre arbitraires ou infondés. Ils s’imposent comme une contrainte contraire à notre liberté de juger et d’agir.

B. RECONNAÎTRE SES DEVOIRS EST AUTONOMIE

• L’autonomie morale suppose de « reconnaître » au sens fort ses devoirs, c’est-à-dire d’en connaître le fondement rationnel et la nécessité universelle.

• Auquel cas, la volonté reconnaît le devoir, non comme contrainte, mais comme obligation, c’est-à-dire libre acceptation de l’obéissance. Ce qu’est l’autonomie.

Conclusion

La moralisation de nos actes est ce passage d’une hétéronomie qui me fait percevoir mes devoirs comme autant de contraintes pesant sur ma liberté, comme chez l’enfant, à une autonomie qui me fait reconnaître mes devoirs comme une libre acceptation rationnelle. Alors la liberté n’est plus de « faire ce qu’on veut », mais de vouloir l’évidence de la raison universelle, par exemple dans le devoir de ne pas mentir.